Instant de vie chez les Bouchard

Instant de vie chez les Bouchard
Claude Mattheau, 2014

lundi 10 novembre 2014

J'ai connu la mort parue dans IMAJ , 1985.


Tirée de gen hcn
Dans la poussière du grenier entre deux vieux numéros d’un magazine qui n’est plus à la mode, j’ai trouvé un vieux revolver. Un jouet de mon enfance, du temps où les jeux électroniques ne nous tenaient pas encore en otage.

Je me souviens. Le samedi nous allions chez Marc, moi, mon frère , les voisins pour y acheter devant la mine amusée  de l’épicier , des revolvers en plastique et un rouleau de pétards. C’était pour jouer aux cowboys.

J’ai appris à faire le mort en venant au monde, ce qui fait qu’à six ou sept ans et peut-être avant j’étais le champion du décès.
Si vous aviez vu ! Quelles cabrioles. À peine avais-je entendu crier par un cowboy ennemi : « pow ! pow! T’es mort !  » que déjà,  j’improvisais ma pirouette. Quelquefois je mourrais à genoux, les mains portées au ventre, la souffrance sur le visage, fier comme un cowboy pour qui la justice n’a de prix que sa propre mort.

Un jour, mille extravagances mortuaires passées, la fatalité eut raison de mes singeries. Décidé à mourir  dans une bataille qui passerait à l’histoire du far-west de derrière le cimetière, voilà que je me mets à chercher la mort. Et qui cherche rarement trouve. J’ai donc survécu jusqu’à  la fin , croyant même pendant un moment devoir recourir au suicide pour enfin atteindre la jouissance suprême que procure la fatalité.

Mais heureusement, un fûté, je ne sais comment , embusqué derrière un monument funéraire est sorti tout à coup de sa retraite et à donné le cri dernier : « pow ! pow! T’es mort !  » Quel bonheur ! 

 John Philip Falter, 1910 - 1982



Aussitôt tombé par terre, écrasant quelques marguerites au passage, me voilà qui déboule la butte, et quelle descente!  Déjà je sais que mes compagnons, jusqu’à la prochaine bataille ne parleront que  de cette belle séquence. C’est l’apogée de ma gloire western !

Je m’excuse au terme de ma roulade contre la clôture du cimetière, souhaitant pousser plus loin mon audacieuse aventure, je feins de me relever dans un dernier sursaut de vie pour me laisser choir à nouveau.

Quelle bêtise! Un frisson me traverse tout le corps, par terre oubliée là sans doute par un buveur solitaire, une bouteille à demi cassée,  mon pantalon brisé à la hauteur de la fesse est lui tout rougi…Triste fin pour un héros!


Les rares  personnes qui ont aperçu cette longue cicatrice, témoignage de cette aventure , ont tous posé , intriguées , les mêmes questions.  Qui ?  Comment ?  Et où? Et j’ai beau dire la vérité, on ne me croit jamais ! Et pour cause, qui peut croire une réponse pareille :  « C’est la mort qui m’a coupé dans un cimetière ! »

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