Instant de vie chez les Bouchard

Instant de vie chez les Bouchard
Claude Mattheau, 2014

samedi 26 décembre 2015

Le là ou là : nouvelle parue dans RECRÉER LA CÔTE No. 1 S'évader



« Là ou là ! » scandait-on dans sa tête. Seul depuis six ans. Il perdait souvent ses lunettes. Elle n’était plus de ce monde pour lui rappeler que ces vieilles brunes, revenues à la mode, il les avait laissées traîner là ou là. Là ou là, c’est presque le nom d’une maladie ! C’était elle, la mémoire de sa vie  et puis, elle s’est perdue de vue elle-même, s’est engloutie comme une roche dans le fleuve. Elle avait chaloupé dans le là ou là. 

Il n’a pas ses lunettes, mais il regarde quand même par la fenêtre.  Il connait le paysage par cœur. Il est né ici, dans ce trop petit village devenu trop grand pour ses jambes, ce village que les guides touristiques appellent un hameau. Ce village accroché à sa vie comme les draps de son lit au réveil.  

Il allait jusqu’au bureau de poste à tous les jours. À ces moments-là, il trouvait tout à coup pratique, cette idée qu’avaient eue les curés, d’insister pour bâtir le bureau de poste près de l’église. C’était comme si ces curés avaient eu la sagesse d’accepter avant tout le monde, que les jeunes vieilliraient !  Cette idée, en tout cas, lui permettait de ménager ses jarrets. Il se trouvait idiot d’attendre ainsi une lettre de son fils. Six ans de Télus, de Sears, de Master, de MBNA, de CAA, d’Amputés de guerre, d’Hydro, de ministère du Revenu, de chèques, de tout, mais pas de lettre d’un  fils qui écrit à son père pour lui dire qu’il l’aime. 

Le téléphone, il le gardait juste au cas. 
Il n’avait pas ses lunettes mais il voyait clair.

Le soir venu, il étalait des albums  sur la table. Il manquait des photos, il en était sûr. Peut-être que non.  Il ne savait plus. Les photos de son fils, c’était celles qu’il regardait. Parce que sa femme…il la voyait, les yeux fermés. Ils  étaient si proches depuis qu’elle était partie.

En fait, depuis quelques temps, il voyait se volatiliser des objets autour de lui. Il avait peur. La même chose était arrivée à sa femme. Mais, lui, savait bien  que non, les objets ne peuvent disparaître ! On les égare. Pour le là ou là de sa femme, il avait deviné avant que  le docteur  ne  le dise,  il savait que c’était sa tête qui était au bout de sa mémoire. Elle en était arrivée à oublier son fils. Auparavant, elle s’était mise à interroger le  visage de son époux, il s’était dit que ce n’était pas grave, qu’il se reconnaîtrait lui-même, qu’il se reconnaîtrait pour deux ! Mais quand leur fils unique finit par disparaître de sa tête, pour ce fils perdu, il pleura, s’effondra, se cacha au regard devenu inutile de son épouse. Il était ainsi parce qu’il avait cette folle conviction  que tout l’amour qu’ils avaient eu en  commun l’un pour l’autre, s’était aussi  évanoui…  

N’empêche que chaque jour, le veuf perdait de vue des objets: une lampe, une théière, un livre et aussi ce bibelot de pacotille ramené d’Expo 67 qui portait tant de souvenances … Le désespoir le prit comme une vague, le varech.  Il  n’avait personne à qui se confier, il avait peur qu’on le place … Il avait vu sa femme pleurer. On l’avait arrachée  à sa maison.  « Tu n’es plus capable,  papa!  » Un ordre. Une sentence. « Tu iras la voir, là–bas. » Ce sort réservé aujourd’hui à son épouse, lui  sauterait un jour, au visage… Ce fut un motif de plus pour amorcer une querelle. La première sans dénouement heureux. Auparavant, c’était elle, mère apaisante et épouse porteuse d’espoir, qui arrangeait tout entre eux. 

Puis un soir,  le répondeur qui clignote. Heureusement qu’il veillait tard en compagnie des ses albums de plus en plus vides. Il n’aurait jamais en plein jour, aperçu le clignotant du répondeur.
«Père, je vous souhaite un heureux anniversaire.»
C’était la voix de son fils. Il ne l’avait pas revu depuis six ans, depuis le jour de l’enterrement, jour fatidique où ils avaient eu une terrible querelle. La deuxième sans elle.  Il avait dit : «  père », pas papa, une politesse de trop, une trace laissée par la tempête que tarde à essuyer la marée.

Il avait oublié son anniversaire, dans les beaux jours, c’était elle, qui lui présentant sa joue, le lui remémorait. Le lendemain, il fut stupéfait de ne pas retrouver la pierre tombale de sa bien-aimée au cimetière. Il se perdait dans un cimetière où il avait jadis creusé des fosses. Sur ce chemin sans fin, même les noms sur les épitaphes ne lui disaient rien. «L’Alzheimer, pensa-t-il,  abattu…  Je suis malade. J’ai trop de mélancolie en moi. Je dois me faire aider.»  Mais ce n’était là que des pensées fugitives. Cette mélancolie qui le rongeait, l’avait arraché à sa vie rangée, avait semé le désordre dans sa chair, puis au plus profond de son être, elle  avait érodé ce qui lui restait de courage... Comme si la tête à la lune, couché dans la  mousse verte, il avait espéré le soleil. 

Pendant des semaines, il ne se leva plus que pour se nourrir, il pleura jusqu’à faire mourir le bonheur de soif.  Il fondait à vue d’œil, il ne sortait plus, le téléphone ne fonctionnait plus. Tout avait continué de disparaître autour de lui. Incidemment, il n’avait plus d’amis. Personne pour s’inquiéter de lui, la postière, elle, avait pris l’habitude de lui déposer son courrier à la maison en passant. Courrier qu’il n’ouvrait pas.

Un jour, il se réveilla et fit une chute brutale en bas de son lit. Ses jambes…Jusqu’aux genoux, puis jusqu’aux hanches, et cela remonta encore sous ses yeux apaisés, les mêmes yeux que sa femme eut pour lui, quand elle ne le reconnut plus…  Ce fut le jour choisi par son fils pour revenir demander pardon. Tout ce qu’il trouva, ce fut un lit défait, des couvertures affalées au bas du matelas et une maison tout à fait vide. Presque. Sur le rebord de la fenêtre, là, juste sous ses yeux,  les lunettes que son père déposait là ou là.   

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mercredi 23 décembre 2015

Made by Arthur Simard

Une pose typique à cet homme .
Coll. Stéphanie Simard- Guay FB

Si vous habitez au Bergeronnes , il y a de fortes chances que vous ayez devant les yeux un édifice, une maison, un chemin ,un  aqueduc qui devrait porter la mention : Made by Arthur.

J'avais pour monsieur Arthur Simard (à Henri et à Lumina Bruyère) , un respect infini... Respect que je garde encore aujourd'hui au fond de mon coeur et de ma mémoire. J'admirais son sens de l'observation, et surtout  l'esprit de répartie qui en découlait. Avec ou sans humour selon les cas, monsieur Arthur arrivait en  une phrase bien sentie à nous faire comprendre une réalité beaucoup plus complexe !

Je lui ai rendu visite alors qu'il était malade et diminué.J'étais accompagné de mon oncle Maurice Sirois. J'avais là, deux hommes qui avaient du passé à se raconter. Ils ont construit des quais, des maisons, des HLM , des bureaux de poste...Deux hommes à l'hiver de leur vie, deux hommes qui comme beaucoup d'autres ont gagné leur vie à la verticale. Je n'ai pas beaucoup parlé cette fois-là  et j'ai pu constater l'ampleur des ouvrages de mes prédécesseurs.


Made by Arthur , 1972.
Un jour, en 1993, monsieur Arthur entre chez-moi à Forestville. Il  était venu assister à une réunion des camionneurs artisans.Je lui demande s'il a facilement trouvé mon adresse. Il m'explique alors en regardant  par la fenêtre que la maison verte  à droite et l'autre en face, c'est lui qui les a construites.Et il m'apprend que ma maison est aussi son oeuvre ! Il est en terrain connu. Il avait creusé dans le coin. "Ta maison ,c'était un plan compliqué, des maisons à toit cathédrale, il y en avait pas beaucoup..." C'est comme ça que j'apprends que j'habite une maison  made by Arthur , 1970.

Cette journée-là,  il me dit au sujet du Québec : " Y'a pu d'enfants, Robert !|  Pour faire vivre sa terre, mon père, y' avait besoin d'un troupeau! " Arthur , vous voyez, ne creusait pas seulement dans le sol. Il était démographe.

Il a transporté du sable,du gravier,de la pierre, du bois, de la neige.Il a serré, soudé, peinturé, cloué , coulé. Et il a aussi certainement beaucoup aimé: 9 enfants , 6 filles et 3 garçons.



1975, Le Soleil


Dans le milieu des années  70, l'entrepreneur refait le réseau d'aqueduc dans le village de Bergeronnes. Un jour, il est au beau milieu de la fosse , un trou de 10 pieds de profondeur , et il se fait heurter par une immense rétrocaveuse. Résultat: clavicule brisés, côtes brisées, sternum fêlé et un bras immobilisé. Non seulement n'a t-il pas voulu rester à l'hôpital de Chicoutimi plus que le temps nécessaire à la mise en place du plâtre, mais le lendemain ,il trouvait le moyen de redescendre dans le trou pour diriger les travaux . Il était tellement engagé dans ce projet qu'il mangeait  sur place, son épouse Yolande lui apportait son lunch. Un homme consciencieux.


Un extrait d'un travail universitaire signé Anne -Marie Anctil, fille de Jacynthe , petite fille de Arthur,de Henri et puis de Joseph ...


"Contremaître c'est mon métier, je rêve même d'avoir ma propre compagnie et j'y arriverai. J'ai fini par construire la plupart des bureaux de poste que l'on retrouve sur le territoire de la Haute-Côte-Nord. Devant l'accomplissement grandissant de son mari, Yolande continue de faire la lessive."Le quotidien des amants" Anne-Marie Anctil (2011)
Arthur était un entrepreneur. Certains disaient même qu'il tenait du roi Midas, que tout ce qu'il touchait se changeait en or ! C'était peut-être un peu exagéré mais il faut quand même admettre que monsieur Arthur avait du flair .
Arthur et deux de ses  fils : Guy  et  Dominique . Les autres : Charles Lessard,
Augustin Bouchard et sur le quai improvisé , Alain Samson.
















J'en étais assez fier. D'abord , je suis un Bergeronnais qui habite une maison construite par un Bergeronnais , puis j'ai toujours eu beaucoup d'estime pour tout ce qu'il faisait , un respect tel que je lui ai volé son nom pour créer le Gala des Arthur. Pierre Rambaud croyait que je lui avais volé son nom de plume...Pas du tout ! 

 En signant Arthur dans Le Maillon (Le journal communautaire  du village), je signais pour les gens ordinaires, même chose pour le Gala , c'était destiné à des gens ordinaires. Pas aux magistrats ni aux notables, juste à ceux qui ont contribué à construire un pays en commençant par leur village, et qui souvent ne sont pas reconnus à leur juste valeur.

Voilà qui est fait en ce qui concerne monsieur Arthur, mon professeur de quincaillerie.





Voilà la cie !





dimanche 13 décembre 2015

Légende: Le 1er arbre de Noël bergeronnais .

Quand Champlain s’arrêta au large de la Baie des petite  Bergeronnes en 1603, il vit de son navire, La Bonne Renommée,  des champs qui lui paraissaient être apparentés à ceux de sa contrée d’origine. Il aperçut des herbes qui semblaient de loin être trop près de la mer pour ne pas être salées ! 

Il ordonna  que dix hommes d’équipage se rendissent à terre et fassent une évaluation  des dites herbes.  Originaire de Brouage, petit port de Gascogne, où le sel était la monnaie d’échange, Champlain  vit là une occasion de récolter des herbes et de les faire sécher dans de grands bacs pour en retirer l’or blanc. Le sel était non seulement gage de prospérité, mais c’était aussi  la seule façon de conserver les viandes.

Mais voilà, qu'au retour des hommes, un matelot  manquait à l’appel.  Champlain ne pouvait attendre plus longtemps avant de lever l’ancre, la marée ne lui étant pas favorable. On abandonna l’homme à son sort.

Scots Ross, un Irlandais, avait fui l’Écosse à cause de toutes ces guerres de religions qui n’avaient cesse de bouleverser son pays d’origine. En s’embarquant avec Champlain, il savait ce qu’il faisait. Quand  il avait mis le pied à terre dans les champs salés de  Petites-Bergeronnes, il s’était  vite éclipsé dans la nature. Il savait au fond de son cœur que ce pays-ci serait désormais  le sien. Et il ne voulait avoir pour lui, ni roi, ni religion, ni loi.  La liberté seule était maintenant son maître.

Il devenait ainsi un Robinson. Mais il ne fut pas longtemps solitaire. 

Repéré par les indigènes, il fut  d’abord capturé, mais ceux-ci ne voyant en lui aucune acrimonie, ils  le firent défaire de ses vêtements par le sagamo et l’habillèrent à leur façon. On lui donna une fille à aimer. 

L’amour fut fécond. Ross accepta de vivre à la manière des sauvages et voulut rapidement avoir une descendance. Quand l’enfant vint au monde, il avait la peau pâle de l’Européen et  les yeux rieurs des Montagnais . Toute la tribu vint le voir. La curiosité se transforma vite en joie puisque l’enfant était né dans la nuit la plus longue. Ce qui voulait dire selon les  aînés, qu’il verrait  dans le noir comme un renard. 

Même s’il avait fui la religion, Ross se souvint que son père  décorait un arbre pour rendre hommage à la source de vie. Il demanda au Sagamo de lui rendre ses vêtements de toile, il les déchira en longs rubans, les tendit sur les branches d’un bouleau et  il mit en feu les dites guirlandes. 

Il célébra ainsi la naissance de son fils et son métissage. Le feu ayant consumé ce qu’il lui restait de son passé, Scots Ross pouvait maintenant se tourner vers l’avenir.  Depuis ce temps, la tribu célèbre la nuit la plus longue avec l’arbre de feu.