Instant de vie chez les Bouchard

Instant de vie chez les Bouchard
Claude Mattheau, 2014

samedi 31 janvier 2015

Théâtre pauvre et Grotowski!

Séraphin : Voyons donc la femme, on va pas commencer à mettre de l'argent pour les infirmes! La municipalité est trop pauvre!
Donalda: Jambe de bois mériterait qu'on s'occupe de lui.
Père Ovide: Crétac ! monsieur le maire que vous parlez ben.,Collez hier! Collez aujourd'hui, collez demain! Qu'il aille au Yable , Jambe de bois!





Cette photographie date de 1980 ou 1981. Il y avait à l'époque un organisme dans le secteur BEST qui faisait la promotion de l'intégration des personnes handicapées dans la communauté: écoles, commerces, lieux publics... Selon mes souvenirs , Brigitte Dion des Escoumins qui étudiait alors en soins infirmiers avait organisé un spectacle sur le thème de l'intégration. André Tremblay de Tadoussac (Auberge) y était , il n'avait pas pu avoir accès à la scène de la poly des Berges qui n'était pas adaptée aux personnes à mobilité réduite !  Elle ne l'est toujours pas! 


Comme vous pouvez le constater les moyens étaient assez limités. La couleur trop pâle des châssis bouffait toute la lumière. Les éléments de décors étaient à l'avenant: on prenait ce qui nous tombait sous la main ! Par contre, je vous jure que si vous aviez le son sur cette image , vous entendriez le vrai Séraphin, la vraie Donalda et le vrai Père Ovide!  

Mais grâce à cette explication de Grotowski , on a l'air plus hot !

« Le théâtre doit reconnaître ses propres limites. S'il ne peut pas être plus riche que le cinéma, qu'il soit pauvre. S'il ne peut être aussi prodigue que la télévision, qu'il soit ascétique. S'il ne peut être une attraction technique, qu'il renonce à toute technique. Il nous reste un acteur "saint" dans un théâtre pauvre.[...] Il n'y a qu'un seul élément que le cinéma et la télévision ne peuvent voler au théâtre : c'est la proximité de l'organisme vivant.[…] . » (Vers un théâtre pauvre, Grotowski.)

lundi 26 janvier 2015

Nous étions seize.

J'étais présent au baptême de Pipounapi. Je vous dirais même que j'étais un peu son parrain. Je dis un peu parce que nous étions 16. SEIZE jeunes qui inventaient sur le tas un festival. Et puis on connait la suite, se sont installés au cours des années , des activités : le souper des anciens Bergeronnais, la criée de la Fabrique, le spectale de clotûre, la flambée de l'au-revoir, la marée d'honneur (vin) de la municipalité , la parade , le rallye du dimanche, l'après-midi des enfants, la traversée du lac Gobeil , la balle idiote, la remise des clefs du village... Le festival a été réinventé des dizaines de fois, il s'est adapté aux clientèles et à d'autres inventeurs de festivités. 

Un festival c'est l'occasion de s'unir autour d'un projet, de montrer aux visiteurs ce qu'est notre village, de créer ou renouer  des liens avec d'anciens et de nouveaux Bergeronnais, de fêter entre ami(e)s ! Un festival n'existe pas par lui-même, il est le reflet de ce que nous sommes, de ce qui nous anime, de ce qui nous fait vibrer. 


En 1978 , le festival durait 10 jours, il faut préciser que les jeunes de ma génération étaient nombreux et que les idées fusaient. Il y avait du sport, du plein-air , du théâtre, des chorégraphies, de la musique, des expositions, des soirées ,alouettes !   Et n'allez pas penser que tout cela était facile. Il n' y a pas de génération spontanée et puisque ça prend tout un village pour élever un enfant, disons que les adultes, tout en respectant nos inventions , nous ont beaucoup montré le chemin à suivre ...


Hi! I will seize the day .

dimanche 25 janvier 2015

Bombe Météo et buttes à Valmore!

Morency affectionne la lumière, les  grands espaces,
 les teintes douces et harmonieuses. (PhIlippe La Ferrière, Le Progrès de Québec, 1938)

BERGERONNES, SAGUENAY, Huile sur carton, signée en bas à droite; signé et titré au verso 10 po x 14 po - 25,4 x 35,6 cm. 

Les buttes 

Une belle eau que cette rivière coule
Un beau vent que ces arbres brisent
Voilà ce pays à l’envers que mes bottes font marcher



C'était une douce soirée d’hiver, une soirée consolante des grands froids passés, une soirée où le ciel noir était criblé de points blancs, trop lourds  pour flotter et pas assez pour résister aux vents venus  d’aussi loin que le Lac-à-Raymond. Derrière chaque marcheur qui sortait de l'église Notre-Dame  de Bon-Désir, des plaques grises marquaient les pas sur le trottoir. Certaines révélaient des couples, d'autres la lenteur d'un vieillard ou bien la hardiesse d'un enfant...Un grand rectangle d’asphalte signalait qu' une voiture venait de quitter la caisse populaire située en plein milieu de la côte du crain .Et toute la nuit, la neige et  le vent feraient disparaître le village sous une épaisse couche de plaisirs. 

 Quand nous étions enfants, petits et insouciants, le lendemain d’une bordée de neige, mes sœurs et moi allions descendre les buttes à Valmore. Elles, la corde tendue du  toboggan à bout de bras, et moi assis dedans, nous grimpions les pentes qui défiaient nos âmes de héros .

Après quelques descentes ,la neige poudreuse nous collait au visage. Nos sourcils étaient blancs, nos tuques perlées d’eau et nos bottes de rubber brunes avaient le mouton glacé.

Quand les mitaines de laine tricotées par notre mère commençaient à être humides, nous pensions à rentrer. Souvent, ils nous arrivaient de faire durer le plaisir , et ce n'est pas la bibitte aux doigts qui nous le faisait regretter.

Mes trois grandes sœurs, plus enjouées et moins fatiguées que je ne l’étais, gravissaient la pente sans relâche, dans un aller-retour incessant qui leur arrachait des cris de stupeur. Un geste perpétuel qui durait tout un après-midi. Et trois heures, dans la vie d’un petit bout d’homme, c’est heureusement l’équivalent de toute l’éternité. 

Moi, plus enclin à la rêverie, je m’arrêtais au bas des pentes pour observer les glisseurs. Accroupi dans la neige, les mains appuyées de chaque coté sur mes genoux, je restais là de longues minutes à imaginer être ailleurs. J’aimais aussi goûter  la neige. C’étai si bon. Surtout ça fixait à ma mémoire cette histoire racontée par le curé Gendron au sujet des fils d’Abraham qui se nourrissaient de manne dans le désert. Autant m’en souvenir.


André Morency- 1910-2003 
Il est l'élève d'Ozias Leduc et 
l'illustrateur de L'abatis de F.A. Savard ,1943


Après mille gestuelles, mille cris , nous partions vers la maison , contentés.

Et dans ma tête, dansaient les paroles du jour : « Claire, descend pas trop vite; Rose, attention à  la rivière en bas ! Les bonhommes de neige marchent-ils la nuit ? La prochaine fois, je descends la côte sur un pied, gages-tu ?  » Tous nous étions devenus chasseurs de buttons. Dompteurs de toboggans sauvages .

Les joues rouges, emmitouflés sous nos foulards que ma mère appelait des scarf, nous franchissions enfin le seuil de la porte , fatigués d’avoir marché…d’avoir rêvé aussi!

Enfin, la chaleur de notre maison. Je m’étais ennuyé, dans l’éternité des buttes à Valmore, des gestes de tendresse de ma mère… Nous savions sans le dire que maman avait guetté tout l’après-midi à partir de la fenêtre givrée du solarium d’en arrière, les points noirs qui , presque invisibles, glissaient sur les buttes à Valmore, loin, loin de son cœur.

Elle nous aimait sans arrêt. Sans pause, continuellement, sans jamais manquer d’amour. Cet amour sans fond, était pour elle, avec l’inquiétude , une manière d’étirer le cordon ombilical.

" De la tarte, maman! Ma maman, nous a fait de la tarte. Aux framboises! " criait Lynda que mon père avait baptisée avec justesse, Gros-Ours. La nostalgie de l’été nous prenait à chaque bouchée.

Demain , mes sœurs retourneront à l’école. Et je savais bien que pour revivre cette journée magique, il me faudrait attendre une autre bordée. 


mercredi 14 janvier 2015

Sans prix sur le bord du fleuve.

  • Il est bleu
  • Il est gris
  • Il est calme
  • Une mer d'huile disent les navigateurs
  • Il est impétueux
  • Il roule ses eaux
  • Il vague
  • Il transporte tout
  • Il gèle  
  • Sur les bord, d'abord
  • On marche dessus, ensuite
  • On court dessus
  • Il lèche les grèves
  • Il tape les plages
  • Il silence
  • Il tempête  
  • Il sille
  • Il est là devant nous 
  • Chaque jour
  • À chaque saison 
  • Fidèle depuis toujours
  • Notre toujours
  • Et celui des autres
  • Personne au monde
  • Je dis bien personne 
  • Ne mérite de vivre loin de lui
  • Et en même temps
  • Personne ne mérite le fleuve
  • Et pourtant, chacun de nous l'a
  • On l'a, comme on ne peut rien avoir d'autre
  • Tout à fait disponible
  • Sans prix ni code-barres

  • aujourd'hui, le 13 janvier 2015


dimanche 11 janvier 2015

Crash aux Bergeronnes


Ce chasseur fabriqué au Canada  pouvait atteindre 335 milles à l'heure.
 L'avion à la conquête de la Côte-Nord , René Bélanger
 

C'est en 1942 que deux avions destinés à l'entraînement des pilotes de la base de Bagotville , ont fait un atterrissage d'urgence à l'aéroport de Bergeronnes. C'est le train rentré que les pilotes ont touché le sol  en terre durcie de l'aéroport avec leur Hawker Hurricane I . L'historien René Bélanger qui relate l'incident, suppute une défectuosité mécanique ou une panne d'essence. Toutefois, en temps de guerre, alors que ces pilotes devaient surveiller les eaux du Saint-Laurent, rien n'était plus difficile que d'obtenir de l'information concernant les manoeuvres militaires.Les sous-marins allemands coulés dans l'estuaire pendant la guerre étaient  une preuve de la nécessité de ces vols à basse altitude. 

L'aviation (1)

Le nom de Rodolphe Pagé est associé à tout jamais aux Bergeronnes. Ses exploits ont été maintes fois racontés. Cet homme était un défricheur du ciel. Là, où il atterrissait, les gens l'accueillaient comme un héros. Dans notre pays,l'eau était le chemin qui marche, et l'air était le chemin qui sauvait des vies.






Le curé Joseph Thibault de Grandes-Bergeronnes fonde en 1937 la Compagnie d'aviation Charlevoix-Saguenay, dont la vocation essentiellement humanitaire consiste à évacuer vers les hôpitaux de Chicoutimi ou de Rivière-du-Loup les blessés, les malades, les femmes éprouvant des grossesses difficiles. La région ne dispose en effet d'aucune infrastructure routière hivernale et seul un service de "snowmobiles" dessert tant bien que mal les communautés situées entre La Malbaie et les Escoumins. Au début, la compagnie opère avec un seul avion, de type Travel Air, piloté par Rodolphe Pagé.



À lui seul, Pagé transporte plus de 150 malades, beau temps mauvais temps. "Toujours des vols d'urgence", expliquera Pagé. "On me prévenait presque toujours lorsque le malade était à la dernière extrémité. On avait une peur bleue de l'hôpital. Pour ces gens, entrer à l'hôpital, c'était courir à la mort" . Le service est temporairement suspendu pendant la Deuxième guerre mondiale mais reprend en 1945, offrant une opportunité de travail à plusieurs ex-pilotes militaires en chômage.
Sur la photo: Mgr Labrie flanqué des deux pilotes :Simard et Fortin. L'appareil est un Avro anson acquis de la Central Maritimes Airlines.(Photo tirée de L'avion à la conquête de la Côte-Nord.


Un second pilote,Charles-Edouard Fortin du Lac-Saint-Jean vint prêter main forte à Pagé. Un troisième pilote,Gilles Simard de Québec se joint au groupe. Mais avec l'arrivée d'autres compagnies aériennes et l'amélioration du système routier , l'entreprise devint moins rentable .



Malheureusement, deux ans plus tard, à l'été 1947,  l'incendie d'un hangar  abritant un bimoteur Avro Anson porte un dur coup à un service déjà déficitaire et les opérations cessent.Ce n'est qu'en 1953 qu'une véritable piste d'atterrissage est aménagée dans la région. Forestville accueille alors deux fois par jour un avion de la Canadian Pacific Airlines qui fait le trajet Montréal-Forestville.


SOURCES: Musée de l'air et de l'espace du Québec et L'avion à la conquêtede la Côte-Nord, Mgr René Bélanger, éditions Laliberté, 1977 


JOURNAL LA SENTINELLE, 31 MARS  1939

Des Bergeronnes à Arvida

A midi et dix, mardi, le 1 4 courant, M. le curé Jos. Thibault, des Bergeronnes, comté de Saguenay, partait de son presbytère en avion sous la conduite de M. Rodolphe Page. Dix minutes plus tard, il arrivait dans la paroisse du Sacré-Cœur, près de Tadoussac. A 1 h. 35, M. le curé Thibault quitta Sacré-Coeur pour se diriger vers St-Félix-d’Otis pour y prendre M. le curé Frnest Bergeron et à 2 h. 35
les trois voyageurs atterrissaient à Arvida. M. le curé des Bergeronnes fervent propagandiste de
l’aviation sur la Côte-Nord a déclaré que le comté du Saguenay n’est plus isolé grâce au service régulier d aviation qu’on y a établi.


JOURNAL LE DEVOIR , 24 OCTOBRE 1950 

Nouvelle compagnie d'aviation


Chicoutimi, 24 (D.N.C.) — Une
nouvelle compagnie d’aviation, la
Saguenay Air Ways, dont le siège
social est aux Grandes-Bergeronnes,
comté Saguenay, opère maintenant
un service de transport par
avion dans ce territoire. Elle a un
capital de $100,000, divisé en mille
actions de $100. Les directeurs de
cette entreprise sont MM. Louis Donat
Lauzier, pilote; Laurent
Brisson, maire des Grandes-Bergeronnes,
et le Dr Antoine Gagnon.






Théâtre (3)



Journal La Côte-Nord , avril 1970.
J'ai pu assister, malgré mon jeune âge, à des représentations théâtrales qui avaient lieu dans la salle de l'école Bon-Désir.   Des textes de Labiche montées par Roger Tremblay et son frère Irenée, Les deux timides( en 1970), La grammaire (en 1971) y étaient présentés. J'ai même pu voir Les Belle-Soeurs de Tremblay dans cette même salle. 










Voici le poème en question dans cet article  

Suite fraternelle

 

Je me souviens de toi Gilles mon frère oublié dans la terre de Sicile

     je me souviens d’un matin d’été à Montréal je suivais ton cercueil

     vide j’avais dix ans et je ne savais pas encore

 

Ils disent que tu es mort pour l’Honneur ils disent et flattent leur bedaine

     flasque ils disent que tu es mort pour la Paix ils disent et sucent leur

     cigare long comme un fusil

 

Maintenant je sais que tu es mort avec une petite bête froide dans la gorge

     avec une sale peur aux tripes j’entends toujours tes vingt ans qui plient

     dans les herbes crissantes de juillet

 

Et nous demeurons pareils à nous-mêmes, rauques comme la rengaine de

     nos misères

 

Nous

     les bâtards sans nom

     les déracinés d’aucune terre

     les boutonneux sans âge

     les demi-révoltés confortables

     les clochards nantis

     les tapettes de la grande tuerie

     les entretenus de la Saint-Jean-Baptiste

 

Gilles mon frère cadet par la mort ô Gilles dont le sang épouse

     la poussière

 

Suaires et sueurs nous sommes délavés de grésil et de peur

La petitesse nous habille de gourmandises flottantes

 

Nous

     les croisés criards du Nord

nous qui râlons de fièvre blanche sous la tente de la Transfiguration

nos amours ombreuses ne font jamais que des orphelins

nous sommes dans nos corps comme dans un hôtel

nous murmurons une laurentie pleine de cormorans châtrés

nous léchons les silences d’une papille rêche

et les bottes du remords

 

Nous

les seuls nègres aux belles certitudes blanches

     ô caravelles et grands appareillages des enfants-messies

nous les sauvages cravatés

nous attendons trois siècles pêle-mêle

                               la revanche de l’histoire

                               la fée de l’occident 

                               la fonte des glaciers

 

Je n’oublie pas Gilles et j’ai encore dans mes mots la cassure

     par où tu coulas un jour de fleurs et de ferraille

 

Non ne reviens pas Gilles en ce village perdu dans les neiges de

     la Terre Promise

Ne reviens pas en ce pays où les eaux de la tendresse tournent vite

     en glace

Où circule toujours la jongleuse qui hérissait ton enfance

Il n’y a pas d’espace ici pour tes gestes rassembleurs de vérités sauvages

Tu es de là-bas maintenant tu es étranger à ton peuple

Dors Gilles dors tout ton sommeil d’homme retourné au ventre de l’oubli

A nous les mensonges et l’asphalte quotidienne

A nous la peur pauvresse que farfouille le goinfre du ridicule

Pirates de nos désirs nous longeons la côte de quelque Labrador fabuleux

Loin très loin de ta Sicile brûlante et plus loin encore de nos plus secrètes

     brûlures

 

Et voici que tu meurs Gilles éparpillé au fond d’un trou mêlé aux morceaux

     de tes camarades Gilles toujours violenté dans ton pays Gilles sans cesse

     tourmenté dans ton peuple comme un idiot de village

 

Et perdure la patrie comme l’amour du père haï pays de pâleur suspecte pays

     de rage rentrée pays bourré d’ouate et de silence pays de faces tordues et

     tendues sur des mains osseuses comme une peau d’éventail délicate et

     morte pays hérissé d’arêtes et de lois coupantes pays bourrelé de ventres

     coupables pays d’attente lisse et froide comme le verglas sur le dos de la

     plaine pays de mort anonyme pays d’horreur grassouillette pays de cigales

     de cristaux de briques d’épinettes de grèle de fourrure de fièvres de torpeur

     pays qui s’ennuie du peau-rouge illimité

 

Cloaques et marais puants où nous coltinons le mauvais sort

Oh le Livre le Livre où c’était écrit que nous grugierons le pain

     dur que nous lamperions l’eau moqueuse

 

Rare parchemin grimoire éculé hiéroglyphe savantasse écriture

     spermatique obscène virgule tu nous fascines tu nous façonnes

Quel destin mes bêtes quelle destinée la rose aux bois et le prince

     qui n’y était pas

 

Muets hébétés nous rendons l’âme comme d’autres rendent la monnaie

Nos cadavres paisibles et proprets font de jolies bornes sur la route de

     l’histoire

Gravissons la montagne mes agneaux et renouons avec le bois frustre

     nous sommes d’une race de bûcherons et de crucifiés

 

Oui mère on l’a brûlé ton fils on a brûlé mon frère comme brûle ce pays

     en des braises plus ardentes que toutes les Siciles

     oui on nous a marqués au front d’une brûlure qui sent mauvais quand

     rougeoient les soirs de mai

     Et nous brûlons nous brûlons bénits et multicolores et rentables comme

     un étalage de lampions

 

Il n’a pas de nom ce pays que j’affirme et renie au long de mes jours

     mon pays scalpé de sa jeunesse

mon pays né dans l’orphelinat de la neige

mon pays sans maisons ni légendes où bercer ses enfançons

mon pays s’invente des ballades et s’endort l’œil tourné vers des amours

     étrangères

 

Je te reconnais bien sur les bords du fleuve superbe où se noient mes

     haines maigrelettes

des Deux-Montagnes aux Trois-Pistoles

mais je t’ai fouillé  en vain de L’Atlantique à l’Outaouais de l’Ungava

     aux Appalaches

je n’ai pas trouvé ton nom

je n’ai rencontré que des fatigues innommables qui traînent la nuit

     entre le port et la montagne rue Sainte-Catherine la mal fardée

je n’ai qu’un nom à la bouche et c’est ton nom Gilles ton nom sur

     une croix de bois quelque part en Sicile c’est le nom de mon pays

     un matricule un chiffre de misère une petite mort sans importance

     un cheveu sur une page d’histoire

 

Emperlé des embruns de la peur tu grelottes en cette Amérique trop

     vaste comme un pensionnat comme un musée de bonnes intentions

Mais tu es nôtre tu es notre sang tu es la patrie et qu’importe l’usure

     des mots

Tu es mon beau pays tu es vrai avec ta chevelure de fougères et ce grand

     bras d’eau qui enlace la solitude des îles

Tu es sauvage et net de silex et de soleil

Tu sais mourir tout nu dans ton orgueil d’original roulé dans les poudreries

     aux longs cris de sorcières

 

Tu n’es pas mort en vain Gilles et tu persistes en nos saisons remueuses

Et nous aussi nous persistons comme le rire des vagues au fond de chaque

     anse pleureuse

 

Paix sur mon pays recommencé dans nos nuits bruissantes d’enfants

Le matin va venir il va venir comme la tiédeur soudaine d’avril et son

     parfum de lait bouilli

 

Il fait lumière dans ta mort Gilles il fait lumière dans ma fraternelle

     souvenance

La mort n’est qu’une petite fille à soulever de terre je la porte dans mes bras

     comme le pays nous porte Gilles

 

Voici l’heure où le temps feutre ses pas

Voici l’heure où personne ne va mourir

Sous la crue de l’aube une main à la taille fine des ajoncs

Il paraît

Sanglant

Et plus nu que le bœuf écorché

Le soleil de la toundra

Il regarde le blanc corps ovale des mares sous la neige

Et de son œil mesure le pays à pétrir

 

O glaise des hommes et de la terre comme une seule pâte qui

     lève et craquelle

 

Lorsque l’amande tiédit au creux de la main et songeuse en sa

     pâte se replie

Lorsque le museau des pierres s’enfouit plus profond dans le

     ventre de la terre

Lorsque la rivière étire ses membres dans le lit de la savane

Et frileuse écoute le biceps des glaces étreindre le pays sauvage

 

Voici qu’un peuple apprend à se mettre debout

Debout et tourné vers la magie du pôle debout entre trois océans

Debout face aux chacals de l’histoire face aux pygmées de la peur

Un peuple aux genoux cagneux aux mains noueuses tant il a rampé

     dans la honte

Un peuple ivre de vents et de femmes s’eaaie à sa nouveauté

L’herbe pousse sur ta tombe Gilles et le sable remue

Et la mer n’est pas loin qui répond au ressac de ta mort

Tu vis en nous et plus sûrement qu’en toi seul

Là où tu es nous serons tu nous ouvres le chemin

 

Je crois Gilles je crois que tu vas renaître tu es mes camarades

     au poing dur à la paume douce tu es notre secrète naissance

     au bonheur de nous-mêmes tu es l’enfant que je modèle dans

     l’amour de ma femme tu es la promesse qui gonfle les collines

     de mon pays ma femme ma patrie étendue au flanc de l’Amérique

 

1943 – 1963

 

Revue « Parti Pris. N°2, Novembre 1963 »

Montréal (Québec), 1963

 



Théâtre (2)


Les Bergely, troupe bergeronnaise, ont monté en 1984, la pièce de Gaby Farmer -Denys, Dire que ma Floride m'attend.

Grosso modo, la pièce raconte l'histoire de voyageurs coincés à l'aéroport par divers événements, ils se rendent compte rapidement que le hasard ne fait toujours si bien les choses. 


L'auteure , aujourd'hui décédée, avait aussi commis d'autres pièces: Un mari à la carte; Midas; C’est mon homme pour ne nommer que celles-là. 

La pièce était sous la direction de Lydie Bouchard et Bertrand Maltais.



Le programme  fait état des collaborations diverses des gens du coin:
Costumes: Hélène Lessard; maquillage: Louise Tremblay; coiffure: Sylvie Larouche; Décors: gervais et Nelson Michaud; assistantes : Jeannine et Natacha Maltais; billeterie: Francine Lapointe.




`Jacynthe Simard,Léna Bouchard,Eve Simard,Dominique Lessard,
Lyne Caron,Alain Lacasse,Roger Gagnon,Bertrand Maltais,
Julien Boulianne, Michel Bouchard,Jean-Eude Caron,
Julianna Girard,Lydie Bouchard,Chantal Anctil,
Marianne Otis.   
Juliana Girard s'inquiétait , elle ne voulait surtout pas
que Chantal Anctil en fume du vrai ! 
Jacynthe Simard est Dolorèse , l'hypocondriaque!