Instant de vie chez les Bouchard

Instant de vie chez les Bouchard
Claude Mattheau, 2014

mardi 30 décembre 2014

UNE ABSENCE

Une caisse est vide chez Ti-Marc Tremblay. Une de ces caisses qui sert de support aux longues conversations "entre hommes" qui s'y déroulent chaque soir. 


Aux rendez-vous, sans heure fixe, de chez Ti-Marc, viennent se rencontrer, un peu du canton un peu du village...Des clients d'occasion, des habitués et parfois un "étranger" de passage, dont l'arrivée ramollit la conversation qui reprend de plus belle à son départ.



Économie, religion,température, politique,catastrophes, accidents...tous les autres sujets sont âprement débattus. L'un accoudé sur l'étagère, un autre assis sur des caisses de bières, un autre juché sur la poche de patate et un dernier accoté sur la porte qui "gling gling" quand on l'ouvre.Sans oublier Ti-Marc la tête dans les mains, les deux coudes sur le comptoir et le crayon à l'oreille.

C'est dans cette atmosphère que chaque soir , ou presque , le sort du monde sans être réglé est au moins fortement discuté. Mais depuis plusieurs jours maintenant, il manque un voix dans cette assemblée quotidienne. Celle d'Ovila.

Une caisse est vide chez Ti-Marc Tremblay.

"Perqué, Ovila ?"Ovila, Ovi-Lait, comme on disait parfois pour se faire plaisir sans méchanceté.Ce lait qui d'ailleurs, depuis quelques temps, a un petit goût amer. Roger et Jeannine n'y sont pour rien...c'est juste le goût d'un souvenir... quand Ovila faisait "la run" avec son éternel sourire.


Mon souvenir à moi, c'est celui de ce sourire derrière lequel s'effaçait le contestataire, le politique,afin de respecter le coté public de son commerce. Il lui fallait tout son courage à Ovila , pour ne pas vendre du lait péquiste, mais du lait pasteurisé.Il transgressait parfois , rarement, la règle commerciale du silence pour glisser quelques "considérations" politiques ou économiques.

Mais il se retenait, Ovila...Il se retenait jusqu'à son petit rendez-vous quotidien chez Ti-Marc. Là , il se laissait aller . Là avec d'autres, il a rebâti Unifor, réorganisé l'hôtel Élan , transformé les loisirs, analysé la situation de la scierie Nazaire Gagnon, élu de nouveaux conseillers (qui n'ont jamais siégé),  légalisé la pilule, réinventé Dieu, ou fait l'indépendance du Québec... Il rêvait Ovila, comme nous tous, à la démocratie...

Maintenant une caisse est vide chez Ti-Marc Tremblay. Vide ? Pas tout à fait. Ovila n'est pas de ceux qui partent sans rien laisser.Il nous laisse un grand vide peut-être mais il nous a aussi  laissé de quoi le remplir...

 Pierre Rambaud , Le Maillon, novembre1981.

Pierre est un portraitiste. Il peut en quelques mots saisir un homme. Ses portraits sont souvent  faits à titre posthume. Le mien attendra.  

samedi 27 décembre 2014

LE POUVOIR DES PHOTOS (3) IMPOSTURE ?!

Midget, mars  1978, tournoi de Bergeronnes
Ô Capitaine ! Mon Capitaine !
Notre voyage effroyable est terminé
Le vaisseau a franchi tous les caps, la récompense recherchée est gagnée,
Le port est proche, j'entends les cloches, la foule qui exulte

(extrait , poème de Walt Whitman, 1865 )

Cette photo prise par mon ami le Cyclope est assez étonnante . Un inconnu dirait sans doute que ce jeune homme de 17 ans était  un joueur de grande qualité, un leader, un buteur de première classe. Il aurait à peu près tout faux. Dans mon journal ,j'ai exprimé maintes fois mon désir de devenir meilleur au hockey. J'avais un bon coup de patin, par contre  mes habiletés manuelles étaient plutôt limitées. Ce qui faisait de moi , selon mes copains, un Bob Gainey. Un touriste sur la patinoire. Je ne m'en suis jamais plaint parce que pour moi le hockey était une façon singulière de m'affirmer. Mon coach préféré de l'époque , Augustin Bouchard, dont j'admirais la grandeur d'âme , avait fait en sorte que je sois le capitaine de mon équipe. Il savait ce qu'il faisait. En appuyant ma candidature, il fouettait ses troupes, le message était clair : je n'étais pas le meilleur , loin de là, mais je travaillais avec coeur,  je pouvais grâce à mon coup de patin  faire  s'écouler deux minutes de punition et ainsi remettre mon équipe sur les rails. J'étais un joueur défensif. Mon leadership  se manifestait par ma fougue. Mon peu de connaissance du hockey était flagrant: je ne pouvais pas lire le jeu puisqu'en fait, le hockey ne m'avait jamais intéressé.Je n'ai jamais lu les pages sportives, ni les statistiques, je passais mes samedi soir loin de la télé ! Le hockey fut pour moi  un véhicule pour passer mon adolescence à me faire des amis. 

Personne ne doit savoir que je ne connais rien au hockey. Heureusement que mon frère collectionne les cartes (que j'apprends par coeur), il me sauve la vie sans le savoir, il fait de moi un être à part entière dans ce village de la Côte-Nord où l’aréna rythme la vie de tous les adolescents. Comment moi pourrais-je échapper au monstre, alors que tout le village ne vit qu’en fonction de cette idole ?
(Extrait de mon journal , 1974) 

Cette photo pourrait être celle d'un imposteur, une mise en scène, mais je vous le jure, mon étiquette de travailleur acharné justifie cette photo. Un plombier, finalement, ne fait pas beaucoup de finition, mais il est essentiel.

 Et grâce au hockey , j'ai appris à mémoriser des textes et à me mettre en scène. Ce qui est beaucoup. Merci hockey.

vendredi 26 décembre 2014

Dieu

Il y a un passage que j'adore dans  ce poème  de Jean-Paul Desbiens sur le Lac. ( Journal d’un homme farouche, Boréal 1993)

  Poème farouche
Béni, sois-tu, Seigneur,Pour le lac Saint-Jean 
Je te remercie de me l’avoir donné.Gratis. 
Il était avant moi;Il sera après moi. 
Je te remercie de me donner le pouvoir 
De marcher dessus.

Desbiens était un homme de Dieu. De ceux qui savent recevoir ce qu'ils ont déjà. Si je retiens quelque chose de positif dans mon passage chez les catholiques, c'est cette incomparable foi qui permet à des hommes de croire. De se donner une fois  mort à cet espoir de résurrection . J'ai une admiration sans bornes pour les saints. Pas pour ce qu'ils ont fait, mais parce qu'ils le font pour le Seigneur. Avec humilité souvent. Sans fla fla. Au-delà de cette récompense intrinsèque que procure le travail bien fait, les saints reçoivent ce que Dieu leur donne , c'est à dire ce qu'ils ont déjà !

Si les saints se syndiquaient, Dieu devrait payer pour tout ça . Ma boutade est stupide ,je sais. Mais  Dieu m'a donné le pouvoir d'être un peu beaucoup frondeur . Alors, j'accepte son cadeau que j'avais déjà ! 

  


Le pouvoir des photos (2) Voyages interdits !

Coralie (la fille)et Chantal (la mère) entre 3 et 4 ans
34 ans séparent ces deux photographies. 34 ans c'est beaucoup de temps à l'échelle humaine, à l'échelle du monde ce serait et cela a déjà été dit, un clignement d'oeil . Notre vie est d'une durée de 150 millisecondes. Si nous avions le loisir de voyager dans le temps, nous pourrions enfin rencontrer nos ancêtres ou encore nos descendants . 


Ce qui serait en soi, une expérience un peu traumatisante. Comme Boris Cyrulnic  le disait :"Un enfant n'a jamais les parents dont il rêve."(La résilience ou comment renaître de sa souffrance ? ) 

Or, un voyage temporel serait très néfaste, le traumatisme serait tel que certains s'en trouveraient blessés pour le reste de leurs jours.Ce que  cherche l'enfant c'est un parent idéal et non l'idéal du parent. Un voyage dans le temps suppose que Coralie pourrait voir sa génitrice  quand elle avait 16 ans ,et cela  à un moment qui pourrait être désavantageux pour celle-ci  ! L'image que nous construisons de nos parents est une immense légende lavée de ses scories , qui ne montre comme le disait l'historien Mgr Victor Savard que le bon coté des choses. Un parent idéalisé, donc.

L'image que nous avons de nos parents est-elle un mensonge pour autant ? C'est une construction alimentée de diverses archives:des photographies, des textes, des ouìe-dire , des légendes , des paroles de trop dans un souper de famille... En principe, pour la majorité d'entre nous , un parent idéal  a réussi à nous transmettre des valeurs fortes, elles-mêmes issues de la  construction d'un idéal du moi. 

Bref, ce que votre mère est aujourd'hui , ce qu'elle a réussi à être  en regard de ce qu'elle voulait être , c'est cela que vous connaissez.
Le reste est un chemin, intéressant certes, mais que vous ne devriez visiter que le jours où vous serez vous-mêmes des  parents! 

Les voyages dans le temps ne seront donc autorisés qu'aux parents biologiques. Comme le dit Chantal , la mère de Coralie, un voyage dans le passé est un coup de dés ! 


Et  un coup de dés jamais  n'abolira le hasard. (Mallarmé, 1914) 

Bye , faut que j'aille dans le présent construire le reste de ma légende...

dimanche 21 décembre 2014

Le pouvoir des photos 1.Mario,Castro et Ovila


Visite de mme Hénault
Je crois beaucoup au pouvoir des photographies.  Cette photo de Mario avec mon père révèle déjà  tout l'avenir de mon frère. Cela peut paraître tout à fait impossible, mais c'est bien le cas.  

Mon père est né en 1926. Mon frère Mario, le premier des trois garcons, est né en 1957. À 31 ans mon père après avoir accueilli trois filles que ma mère avait beaucoup câlinées, se retrouvait avec un gars qui le suivait partout, et ce serait comme ça jusqu'à la fin de sa vie. 

Mario et Ovila avaient vraiment beaucoup de points en commun. Mario était un entrepreneur tout comme mon père.

S'il fut enseignant un temps,je crois simplement que c'était parce que les services d'orientation étaient déficients ou absents pendant son adolescence. Même si ses études universitaires en langue ne lui sont pas directement de bon secours dans son commerce, on peut dire que ce parcours particulier lui a ouvert l'esprit, en plus de lui avoir permis d'aller voir du coté des fonctionnaires. Laquelle visite lui a confirmé qu'il était tout à fait comme notre père: un gars de commerce, à l'esprit indépendant et dont la fidélité dans le service à la clientèle était égal , sinon supérieure, à celui de son géniteur.



Mario et Ovila  en 1966
Ovila n'avait pas de patron, Mario, non plus. Il y a un tribut à verser pour cela: travailler, travailler et travailler. Et quand on travaille , on voit le résultat de ses efforts et on se surprend que des gens puissent toute leur vie occuper un travail qu'ils n'aiment pas. 


Mon père avait une préoccupation qui s'élevait au-dessus de toutes les autres: l'éducation, il était essentiel que chacun de ses sept enfants soit instruit. Mon père disait qu'un homme d'affaires prospère n'avait  réussi qu'à moitié si sa progéniture ne pouvait pas à la fois faire marcher le commerce et en plus choisir un avenir qui lui soit propre. "Il faut aller à l'école le plus longtemps possible. L'instruction ça ne se mange pas, mon argent, oui. "

Ovila était un laitier, un livreur de lait, mais aussi un humaniste. Mon père aimait ses clients, il adorait sa run de lait et si les dernières années de sa vie furent difficiles en raison de la maladie, jamais il n'aurait changé de travail. Mario aura été en ces jours plus sombres, c'est le cas de le dire, son poteau de vieillesse. Et notre père, sans le savoir, son mentor. Il lui a tout appris. Mario aura été au première loge pour se rendre compte que le commerce était un art. Comme me disait monsieur Vilmond Lessard, dit Castro, en 1986:



"Le commerce, c'est un cours d'université. On finit par connaître le monde au quart de tour!"


Crayons publicitaires  retrouvés dans les murs d'une maison
construite en 1965 Coll. Doris  Lapointe  (FB) 
En plus d'un baccalauréat, Mario a aussi une maîtrise es commerce ! Et monsieur Castro aurait bien mérité  un doctorat honorifique en psychologie.