Instant de vie chez les Bouchard

Instant de vie chez les Bouchard
Claude Mattheau, 2014

dimanche 26 février 2023

Cartes où figurent Bergeronnes et Bon-Désir

 

1950 Asphalte tronçon route 15 -Forestville-








Toutes les cartes peuvent être agrandies en cliquant sur la vignette

1838


1853


1883


Détail- Rang Saint-Pierre 1883-


1927 Carte routière  (il n'existe pas de routes dites de voirie)


1940- Route gravelée, elle porte le no. 15

 La route qui a permis de relier la Côte-Nord au reste du Québec n’a été inauguré qu’en 1931 .  La route  15 va  de Tadoussac à Portneuf-sur-Mer. Elle n'est pas pavée et reste impraticable une grande partie de l'hiver.

1939  Voilà à quoi ressemble la route, une fois qu'on a passé Portneuf 



1965 , journal l'Aquilon - Certains historiens prétendent que la route 15 fut pavées dès 1941 , rien n'est plus faux. C'est En 1973 que la route 15 devient officiellement la route 138 , toutefois, jusqu'en 1978, on verra des panneaux annonçant la ROUTE 15.  Slowly  indiquaient les panneaux de la voirie ! 

Pont de la rivière du Moulin , 1948, Bon-Désir



Trois quarts de siècle plus tard ....











dimanche 19 février 2023

Deux minutes pour Antonin.

 

Je prends deux minutes pour Antonin .

Si au lendemain de la célébration qui fut un ultime adieu à cet homme , je prends le clavier, c’est que j’estimais tout à fait dangereux de le faire avant.

J’ai appuyé fortement sur la gâchette qui fait se relâcher le penne de l’immense porte grise de l’église. Je me suis alors souvenu du dépanneur L’Heureux, j’ouvre la porte et  Antonin est debout derrière le comptoir qui m’accueille .

J’entre donc à l’église et il y a Hélène Gagnon qui me souhaite la bienvenue. René Lessard et Johanne Labrie me font sourire . Elles sont les vendeurs du temple, dis-je pour les taquiner.  

Au dépanneur , c’est pareil. Antonin sourit. Il se demande bien dans quoi je vais bien encore l’embarquer.  Déjà que je lui vole son commis d’occasion, Stéfane Guignard,  pour tirer les rideaux des spectacles locaux, il pourrait bien afficher une mine dubitative…Mais non, il se prête à mon jeu et embarque dans notre carnaval. D'ailleurs, Antonin  aura vite fait de devenir un maudit Bergeronnais, on le verra partout : à l'aréna, au terrain de balle, au quai... Le village s'est fait à son pied. 

Je remonte l’allée centrale , et je vois Adrien l’Heureux, en lui parlant, il me semble évident que l’ affabilité est un trait familial marqué chez les fils de Jérôme, patriarche qui longtemps fit commerce à Rivière-Bersimis, du côté du Banc-des-Blancs. Quelques phrases échangées avec Hélène et Noémie, des sympathies d’usage, probablement le discours qui sied le plus mal à ma face de clown. Me revoilà descendant l’allée et ma tête redescend le temps.

Pendant tout un printemps et un été, Chantal, ma conjointe, sera accueillie par Hélène, je verrai les balbutiements du futur père de famille. Attentionné, tout en  nuance devant les aléas de la vie.

En remontant la côte de l’église, j'attaque la côte du détour su’ Edouard, je revois Antonin dans ses rôles divers:  boucher, commis, gérant, préposé dans une pourvoirie, concierge... Alouette ! Je revois comment cet homme se refait sans cesse, toujours au service des autres, toujours à adoucir le quotidien , toujours à accepter les déviances commerciales,  lesquelles, il faut bien le dire, existent chez chaque consommateur, et qu’il faut bien finir par canaliser en un sourire !

Je suis de retour à la maison et je fais jouer en boucle la chanson de Charlebois  Ne pleure pas si tu m’aimes, paroles inspirées du philosophe Saint-Augustin lui-même. Le refrain ne m’empêche pas de pleurer.  

Les cloches sonnent. Chantal viendra me prendre pour aller rejoindre la famille à la salle de l’Âge d’or. Pendant quelques heures, Serge Anctil, Renaud Dufour, Dominique Simard et moi allons refaire et défaire  l’histoire de ce village. 


Il y a longtemps que Gabrielle et Noémie
ont appris le sens du partage
  Sur Antonin peu de  mots. Le   témoignage présenté par Isabelle     Bourgeois Ross aura fait le tour. Il faut   faire confiance, Anthony, Jérémie et   Noémie porteront la suite.

 






Mais je crois surtout qu’en présence de   tous ces gens qui ont connu Antonin,   les paroles de Saint-Augustin, devenues  un poème Charleboisien, auront eu leur effet.

« La mort n’est rien. Tu vois, tout est bien. 

Tu retrouveras mon cœur. 

Essuie tes larmes.

 Et ne pleure pas si tu m’aimes. 

Je suis seulement passé de l’autre côté.

 Pense à moi. 

Souris, prie pour moi et continue à rire de ce qui nous faisait rire ensemble.

 Ne pleure pas si tu m’aimes et donne-moi le nom que tu m’as toujours donné.

 Je suis moi et tu es toi. 

Ce qu’on a été l’un pour l’autre, nous le sommes toujours,

 Toujours. »   

Et Antonin aurait ajouté sur le ton de l’homme qui en a vu d'autres:  

Qu’est-ce que tu veux qu’on fasse...  



mardi 14 février 2023

PARADIS PERDU

 

Paradis perdu

Paru dans 


Janvier 1961

Dans le village de Bergeronnes, il y a une église. Une église qu’on a failli recouvrir de claboard de vinyle. Pour la protéger de la pluie à tout jamais.  Et pour protéger les fonds fondants de la Fabrique : les quêtes du dimanche s’amenuisant proportionnellement au nombre de fidèles fréquentant la messe. Les gens ont réagi, on ne laisse pas un monument être recouvert de plastique. La nuit, les gens devaient cauchemardiser qu’un jour, il faudrait se résoudre à honorer les morts avec des pierres tombales de plastique; une odeur de plastique envahirait vite le village vieillissant et serait pour un village lové dans la forêt et le granit, un déshonneur.

 

 Mais avant la débâcle, dans cet espace gris d’à peine 10,000 pieds carrés, une loi avait traversé les générations, empreint les comportements quotidiens et encadré plus d’une vie. Dans la rotonde située sous le chevet de l’église, on baptisait. Quiconque aurait voulu échapper à l’exorcisme, se portait en état d’exil dans les terres mêmes de sa naissance. C’était le lieu initiatique. Où naissaient les mythes. Où mouraient les légendes.




Je suis né en pleine tempête.  Il viendra au monde une trentaine de petits Bergeronnais et petites Bergeronnaises, en cette année de 1961. Espérance de vie : 71 ans. La garde Mailloux assiste Madeleine et lui annonce qu’elle est enceinte. Naîtra donc Jean-François B.- Puis, José S. -Liette B. -Hélène B. -Patrice B. - Joris G. -Aldo B. -Claude B. -Denis M. - Dominique L -Chantal L. -Serge A. -Pierrot L. -Hervé C. -Dany D. -Étienne M. -Lynda L. -Étienne H. -Sonia C. -Germain T. -Fernand B. -Germain G.- André G.- Anne L.- Lucine I.- Nancy F. -Guylaine B.

 

 

 

Février 1987

Dans le village de Bergeronnes, il y a un aréna. Le printemps venu, on le ferme pour le reste de la belle saison. Cet aréna sent le ciment et la pierre, matériaux parfumés par la steam des hot-dogs gonflés de ketchup Heinz de mesdames Mérilda et Françoise. Il est froid et humide.  Même en été. Comme une cave à légumes. Ce sont les gens du village qui l’ont érigé au milieu des années 60. Au même moment où René Lévesque criait pour libérer nos eaux des mains des Anglais et que le barrage de Bersimis 2 initié par Duplessis achevait d’être construit, les Bergeronnais libéraient leur énergie pour occuper leurs enfants trop énergiques. Le village avait maintenant deux temples, même que le curé disait la messe à l’aréna les dimanches de tournoi de hockey mineur. Ce qui ne change rien au fait qu’aujourd’hui, ceux qui ont construit l’aréna l’ont fermé puisque les enfants trop pleins d’énergie sont partis jouer au hockey ailleurs. Mais l’église, elle, est encore ouverte. Même l’été.

 

Mars 1976

 Dans le village de Bergeronnes, il y a un cimetière.  L’hiver, quand une forte tempête de neige égorge les maisons voisines bâties sur le roc, personne ne voit à un pied. Quand le vent se terre puis que la neige se claire, les voisins devinent le Calvaire blanc du cimetière qui se découpe dans le vert des immenses épinettes qu’un vieux curé a eu la bonne idée de planter quarante ans auparavant pour donner de la vie à la mort, en hiver comme en été.

Jean-Charles à Barnabé à Julien est mort à 76 ans. Le plus grand regret de mon père, devenu un vrai orphelin, se manifestera le 15 novembre de la même année. Son père n’aura pas vu René monter sur l’estrade. 

Les morts de l’hiver passent par « la charnière ».  Les gens parlaient de cet abri temporaire, en le féminisant. La mort rassurante au féminin : dans les années 20, voir mourir son frère ou sa soeur dans les bras de celle qui jadis nous avait donné la vie fut longtemps un malheur qui d’habitude arrivait.

 

Au premier signe du printemps, les travailleurs occasionnels de la Fabrique, fossoyeurs des amis, puisque tout le monde ici se connaît, étaient rapides à creuser les fosses. Plantés dans l’immobilité du soleil peureux d’avril, les fossoyeurs s’arrêtent après le premier coup de pelle qui a percé le sol encore dur et humide. Je suis là, debout, à regarder être creusé le trou de mon grand-père. Je vois qu’eux aussi, ils ont peur de chalouper. Tantôt quand ils ont pris une bonne gorgée de l’eau que leur avait apporté l’épicier d’en face dans une cruche vide de jus de raisin, ils ont senti dans leur bouche un goût âcre : c’est leur tête qui se répand dans tout leur corps. Monsieur Marc a dit comme pour les rassurer : « On va toute mourir pareil. Tabarsac! » Alors, ils ont bu l’eau à la sauvette pour qu’elle ne porte pas les paroles de l’épicier.

 

Quand les deux hommes ont fini le trou, ils ont attendu que je parte et ils ont descendu le cercueil au fond. Puis ils ont refermé la fosse, replacé le gazon jaune et se sont salués de la main. Ce dernier geste était le seul qui tenait du quotidien, un conformisme qui aujourd’hui, jour des trous, reprenait son air de dire. À l’accoutumée dans les trous, on y enterre beaucoup de bonheur et une oraison funèbre se présente comme une béquille qui viendra soutenir la vie qui continue. Coucher les morts de l’hiver dans le sol du printemps, c’est comme planter une graine qui ne poussera pas. Mais je savais que dans un dernier cadeau à la vie, les défunts se faisaient humus pour nourrir la terre et les grands conifères…

 

Avril 68

Dans le village des Bergeronnes, il y a un bureau de poste. Il y a bien du bonheur qui arrive par la malle que le père Georges dépose sur le comptoir ou dans les casiers. Le journal local, les paquets c.o.d. (cash on delivery), Le Soleil et les bonshommes du samedi, les lettres des tantes parties en ville et qu’on ne reverra qu’à l’été, les catalogue de Noël de Sears et d’Eaton, les Je me renseigne de Grolier, les photographies, les lunettes, les dentiers, les diplômes, les chèques, le Châtelaine de Madeleine, le Maclean d’Ovila, le Vidéo-Presse des enfants, les cartes de souhaits … Le bureau de poste est un peu la fenêtre de Bergeronnes sur le monde.

 

Mai 1972

Dans le village de Bergeronnes, il y a une école. La partie initiale érigée en 1934, est de bois, la construction de 1948 est en brique et l’aile neuve érigée au début des années 60 est de briques et de tôles d’acier non profilés. Ce bâtiment fut le couvent des sœurs du Bon-Conseil, l’académie Bon-Désir, l’École secondaire Bon-Désir… Sous les classes de l’aile neuve, il y a une grande salle. Les gens s’entêtent à l’appeler la grande salle du couvent. La dalle faite de terrazzo accueille les pieds les plus divers : les souliers de semaine des joueurs de bingo, les souliers vernis des élus municipaux, les souliers nerveux des comédiens, les fiers escarpins des réceptions, les bottes des cinéphiles, les espadrilles des élèves d’éducation physique, les pieds nus des judokas… J’y ai vu Les Belles-Soeurs, deux Labiche, Les dix petits nègres, des magiciens, des hypnotiseurs, l’orchestre à Roger (Les Indécis), le Bonhomme Carnaval et le Père Noël…

 

En 1972, la septième année disparait. Pour équilibrer les groupes, on place des élèves de la classe de madame Bernadette Gagnon-Fafard dans celle de madame Madeleine Gauthier-Imbeault. Je ne le sais pas à ce moment-là, mais ce changement de classe me mènera sur la scène de la grande salle du couvent !  Une petite saynète montée en compagnie de Jean-François Bouchard (à Welleston), Dany Deschênes (à Léo) et Germain Tremblay (à Paul-Eugène) qui a bien fait rire nos collègues des deux classes de sixième est inscrite au programme de la Fête des mères du 13 mai.  Dany est un Denis Drouin en puissance. Germain est notre guide. Il a une excellente mémoire. Jean-François escamote les répliques et rit autant que la foule !  J’improvise si nécessaire. J’improviserai toute ma vie.

 

Juin 67

Dans le village de Bergeronnes, la route 15 traverse la place d’est en ouest, comme un ruban mal attaché qui ondule dans des cheveux hirsutes. S’y emprisonnant, la route décrit un mouvement acrobatique qui laisse croire que le mythe des promesses d’asphalte de Duplessis serait vrai.[1]

 

Il y a toujours des passants qui s’arrêtent au restaurant Le Voyageur. Souvent, ils passent derrière la maison familiale et se rendent jusqu’à la coulée qui s’étend jusqu’aux buttes à Valmore et ils prennent une photo. Se déploie en contrebas une petite rue qui forme une espèce de zéro tracé malhabilement par les propriétaires qui voulaient tous voir la rivière, comme on veut admirer un collier qui coule dans le cou d’une belle. Le tout était à la hauteur d’une petite rivière sinueuse qui flattait un carré de bois empli de roches, vestige d’un ancien pont couvert. Les maisons observées de cet endroit, paraissaient avoir été déposées par un enfant géant qui jouait à construire un village. Un poème de Saint-Denys-Garneau.

 

Ce jour-là, c’est Henri Caron, casqué de bleu, qui attire l’attention. Il s’est arrêté avec son cheval devant la maison d’Adrien Guay. L’animal tire une charrette rouge à quatre roues où sont déposés les outils de l’homme d’entretien du village. Cet anachronisme bat tous les paysages.  Un homme appuyé contre le poteau qui soutient l’affiche Shell du restau se prépare à photographier la scène. Il attend que le cocher remonte. Il suffit qu’Henri Caron fasse un bruit avec sa bouche pour que le cheval redresse la tête et reprenne la route.

 

Puis la bête avait lâché derrière elle, un gros paquet de crottin.

C’était son autographe!

 

 

Juillet 72

 

Dans le village de Bergeronnes, le vent est nordet tout l’hiver. On l’a de dos ou de face à cause de la configuration est-ouest du village. Les gens ici se battent pour avancer et d’autres fois n’ont qu’à tourner capot pour s’envoler. Dans les villages aux alentours et aussi loin qu’à Sept-Îles, on ne sait pas ça! On constate seulement que le fait de transiger avec un Bergeronnais, c’est comme parler à un maudit Français :  il est avant nous, il sait déjà, et s’il ne le sait pas, c’est que ça ne valait pas la peine de le savoir. Et d’une génération à l’autre, même si ton père est déménagé dans la ville de ta mère et que tu te retrouves à l’aut’ bout du monde, tes vraies racines ce sont celles de ce village. C’est comme ça que le vent frette a façonné ce monde-là !  Et l’été, ça ne change pas grand-chose !

 

Or, au cœur de l’été, arrivaient de partout des cousines et des cousins. Des Lamontagne, des Tremblay, des Bolduc, des Jean, des Glazer, des Maltais… Et souvent le chemin se faisait aussi à l’inverse, le Rat des champs se rendait chez le Rat des villes.

Notre Rat des ville, Pierre Glazer à Paul, fils de ma tante Victoire Sirois, s’intégrait très rapidement à la gang et jouait avec nous sur les trois champs de balle du village : l’officiel situé devant l’école Dominique-Savio, celui des terres de Léon Jean et le champ de trèfles et de fraises qui fut jadis l’aéroport de Pagé. Il nous arrivait aussi de nous exécuter dans l’espace restreint qui séparait le terrain de Camille Boulianne et le garage du père Albert Tremblay. Il suffisait de ne jamais cogner la balle vers la droite, pour éviter la grande baie vitrée de la maison de Léo Desbiens à Roméo.

Pauvre Glazer ! Il se prenait pour Bob Bailey et au lieu que d’expédier la balle dans la piscine, il fracassa la vitrine ! [2]

Nous, les Saint-Laurent, les Bouchard, les Boulianne, les Glazer, les Brassard, les Lessard et alouette…avons tous décampé dans le champ de fraises avec l’idée de prétendre y avoir joué tout l’avant-midi, l’alibi parfait ! Le Rat des villes avait une autre défense : il plaidait le fait que de construire une maison derrière une autre maison était impossible à Saint-Hubert et que de ce fait, il n’était pas coupable.

En tant que Rat des champs, mon frère Mario décida de m’envoyer au front pour expliquer le problème à monsieur Desbiens dont on pouvait apercevoir la voiture stationnée chez Méridée Gagnon et Marie-Laure…

Et quand je revins de ma mission obligée, je racontai que madame Mariette Gagnon à Arsène m’avait fait de gros yeux et que monsieur Desbiens avait fait peu de cas de notre bévue. Il avait dit de sa voix éteinte : « Tu diras à ton père qu’on va appeler les assurances. »

Ils y avaient tous pensé. Mais aucun d’eux n’en avait parlé. « Ben oui, les assurances! » Rats des villes ou Rats des champs, c’était bien tous des Bergeronnais.   

  

Août 74

Dans le village de Bergeronnes, il y a un vieux quai : il est situé pas loin de l’entrée de la rivière Grandes-Bergeronnes, il allonge artificiellement la Pointe-à-John. Personne ne sait pourquoi la Pointe-à-John s’appelle la Pointe-à-John. Absolument personne! Pas même les spécialistes en toponymie du Québec et du Canada ! Et encore moins les historiens autoproclamés du coin.

 

 C’est là que les jeunes adultes du village stationnent leur voiture sous les étoiles pour prendre une bière en regardant dans le vide. Ce quai, les nuits d’été, c’est le rendez-vous des paroles perdues. L’hiver, il ne sert pas à grand-chose.

 

Le jour, ce quai accueille des rentiers, des chômeurs d’occasion qui attendent leur call et d’autres flâneurs qui viennent remplir leur calepin de chouennages polis.

Un matin, comme ça, j’arrive avec mon vélo sur le quai, je profite d’une pause pour laisser la brise venue de la Pointe-Sauvage s’enfiler dans les coutures lâches de mes pantalons Adidas bleus à trois barres jaunes. À 13 ans, j’ai l’impression que les adultes parlent une langue qui appartient à un autre temps. Une langue imagée dont je reconnaîtrai plus tard une certaine parenté avec le théâtre de Pagnol.

Au sujet d’un patron

-Il les fait travailler, lui, c’est facile il est au bureau.  

-Quand on est le moteur, on ne peut pas être le volant.

-Pour chauffer une maison, la bûche a autant de mérite que la cheminée pis le poêle. 

 

Au sujet d’une entreprise

- Ça marchera pas, cette affaire-là.

-Un cheval à trois, c’est pas chanceux. Tout le monde veut tenir les cordeaux.

-Le cheval vient qui sait pus quel bord prendre.

-Y’en a un qui va finir par garder la selle pour lui tout seul.

 

Au sujet d’un homme malhonnête

- Il peut changer le nom de son chien s’il veut, mais c’est encore lui le maître.

 

Au sujet d’un adultère

Il (ou elle) laisse ses pantoufles à deux adresses.

 

Septembre 69

Dans le village de Bergeronnes, il y a un dispensaire. Ce genre de bâtiment tout peint de blanc porte officiellement le nom de dispensaire-habitation. Ce modèle datant de 1930 présente un solarium, un cabinet destiné aux consultations médicales, une aire d’habitation de deux étages et une cuisine d’été à l’arrière. Un garage y est aussi annexé. En 1968, le grand terrain qui tient le dispensaire en retrait de la route 15 est quotidiennement traversé de travers par les élèves du roc qui se rendent à l’école Dominique-Savio et ce en dépit des nombreux avertissements reçus par nos parents. « Ne passez pas par-là, ce n’est pas chez-vous. »

Ce sera un autre événement qui servira de leçon à notre empiètement sur la propriété d’autrui.

Au centre du terrain, un affaissement s’était lentement creusé sous le poids des nombreux passages d’écoliers. Nous trouvions la chose mystérieuse. Comment une telle courbe inversée pouvait-elle s’être inscrite aussi rapidement sur ce terrain relativement plat.

Mon frère fut le premier et le dernier à obtenir la réponse quand un midi, il s’enfonça sous nos yeux dans le gazon. En lieu et place de la déclinaison, le terrain s’était ouvert comme une trappe et Mario avait été avalé par le sol. Les sables mouvants dans les films de Jim la Jungle avaient le même effet sur les aventuriers.  

Sous le gazon tapé par nos pas et maintenant éventré se trouvait un ancien puisard creux de plus de deux mètres. Mario se souvient s’être enfoncé à deux reprises, tentant à chaque fois de s’accrocher aux parois pourries de l’ancienne fosse. L’intervention de Sylvain Gagné (à Gilbert et Rosette Otis) lui sauva la vie. 

Au printemps de 2013, alors que nous sommes Mario et moi à préparer la maison familiale pour l’été, je suis témoin de retrouvailles entre Mario et Sylvain qui passait sur le trottoir d’en face. Le premier souvenir qu’ils évoqueront : le puisard. 44 ans après.

Surprenante résonance qui me conforte dans l’idée que les lieux n’existent que dans les liens qui nous unissent aux autres, définis par des réalités multiples où chacun pose sa pierre.  

 

Octobre 81

Dans le village de Bergeronnes, juste au centre de la côte du roc, il y a un petit hôtel : 3 chambres toujours vides - sauf l’été -, un bar toujours plein, et assez de fenêtres pour qu’à partir de midi, on puisse regarder briller la lumière du soleil à travers le brun des grosses bières et donner de la vie au houblon qui se meurt d’être enfin bu. Ce qui la nuit ne change pas grand-chose. Le carrelage est vieillot, la patronne ne suit plus la mode depuis des années, la porte du bar est donc orange et le plancher pareil.

 Je viens de passer deux jours à vivre dans un hôpital à voir mourir mon père. J’entre au Fortin en ce mardi soir. Je veux juste me sentir vivant. Marie Uguay, une poète, écrivait que dans le mot connaître, il y a le mot naître. Et ici, dans ce petit bar pendant toute la soirée j’entendrai parler de mon père, je l’entends renaître au bout des lèvres des uns et des autres. Le commentaire de la soirée, celui qui me restera en tête pendant les deux jours qui suivront, vient de Marcel Lapointe (à Lionel et Blanche Guay), le scieur à la coiffure des années 60, qui traîne dans ses vêtements l’odeur antiseptique des résineux qu’il décante du matin au soir.  

« Vous autres, vous aviez un bon père. Il perdait jamais son temps. »

Ma mère rejoindra le club des veuves de Bergeronnes. Quand je pense à ses femmes seules, je ne puis m’empêcher de voir Henriot Simard (à Albert et Anne-Marie Bruyère) transportant dans sa camionnette tous les morceaux de tuyau du monde, s’évertuant à souder, à clouer, à scier, à coller à la place de Phillias, d’Ovila, de Thomas, de Gérard, de Jean-Paul, de Paul-Aimé, de François…

 

Novembre 89

Dans le village de Bergeronnes, il y a un vieux magasin général qui spécialisation oblige, est de moins en moins général. GLR est maintenant la propriété de Renaud Bouchard, Christine Lessard  et Jacques Gauthier. Christine (à Adélard et Marthe Martel) fut longtemps le pilier de ce magasin. Je puis dire sans me tromper qu’aux premières heures de GLR, la présence de Christine fut non seulement rassurante mais aussi déterminante. Il fallait dans certains secteurs faire des placements en juin pour l’hiver suivant, Christine était dans ce domaine de bon conseil, son expérience valait bien une étude de marché ! Elle savait accueillir la clientèle et proposer des achats sans jamais se mettre à dos un acheteur. Combien de fois l’ai-je entendu dire à Léo, au sujet d’une marchandise que nous avions peine à écouler : « Mets ça sur le bout du comptoir puis à midi, tout sera vendu ! » Ce n’est pas pour rien qu’en 1984, la Duchesse Christine contribue à sauver l’église de Bergeronnes du parement de vinyle ! Elle aurait pu vendre un billet de tirage à Séraphin Poudrier en personne! Au premier party de Noël de GLR, elle m’offre un roman de Boris Vian. Je vous le répète, un cœur démesuré, un être attentionné, la fille à Dollard, unique!  

Tous les décembres de toutes les années

Dans le village de Bergeronnes, il y a une tempête perpétuelle. Elle sévit dans la tête de chaque Bergeronnais, entretenue par la souvenance d’un village illuminé de vert, d’or, de bleu et de rouge pour célébrer Noël. Du promontoire de Noël Lessard à Euclide sur la côte l’aut’ bord jusqu’à la maison de briques jaunes de Noël Gagnon à Alexandre , en passant par la maison allongée de Jean-Noël Tremblay à Albert , le vent qui souffle dans les souvenirs des Bergeronnais est si fort qu’il fait danser le vert, l’or, le rouge et le bleu dans les sapins . L’hiver est un instant maître du village et nul ne s’y oppose : la porte lourde de l’église poussée par le vent refuse de s’ouvrir, des pneus crissent en dérapant dans la côte su’ Edouard, la fumée blanche des moteurs s’envole, le givre des vitres des autos reçoit les dessins des enfants, des piétons courbés pour affronter la fameuse côte s’en souhaitent un joyeux. S’effacent en quelques minutes, ces scènes ponctuelles, le chemin s’est reblanchi et André Boucher, bedeau circonstanciel, monte à son tour, l’oeil sur les décorations qui ornent la longue galerie de Gérard Lessard, signal annonçant le chemin de sa demeure où l’attendent les siens.           

 

***

Il y aurait sur le thème de la mémoire, un ballet à chorégraphier. Il faut être attentifs aux signes avant qu’ils ne s’envolent ! Première entrée de ce ballet :  me promenant dans un sentier avec mon chien, pourquoi suis-je tout à coup envahi par une image que je croyais perdue à jamais ? Que cachent ces images, sinon le commencement de soi.



[1] “Le gouvernement de l’Union nationale a fait, et continue à faire, une guerre sans merci à la poussière”.  Des mauvaises langues disaient, à l’époque, que lors de la reconstruction d’une route existante, les partisans de Maurice Duplessis profitaient d’une belle route droite, alors que les libéraux voyaient une mauvaise courbe devant chez eux!

[2] Au-delà du champ droit au Parc Jarry, il y avait une piscine dans le parc municipal, dans laquelle les coups de circuit étaient souvent frappés.

dimanche 12 février 2023

ENTRAILLES

 

Ton livre en trois mots

Identitaire, local et universel

As-tu une anecdote du processus de création qui représente bien l’ensemble du projet ?

J’ai fini ce livre à la course. Jacques Gagnon , le président du Festi-Livre Desjardins avait appris par Jennyfer Gravel, la responsable du choix des auteurs.es, que l’une des romancières régionales s’était désistée. Je lui ai offert de lancer mon bouquin. J’avais un mois pour tout terminer. Pierre Rambaud m’a accueilli aux Éditions du Cyclope , et hop, j’ai trouvé un imprimeur.

À quel endroit as-tu eu le plus de plaisir à présenter ton roman ?
Partout. Mais j’ai aimé l’accueil de la biblio Camille-Bouchard de Forestville. Il y avait 90 futurs lecteurs, tous invités par la responsable locale , Sophie Gagnon. Elle connait son monde.

Si tu avais une odeur à associer à ton récit ?

La rosée. Une petit odeur d’humidité qui se répand dans l’air au petit matin, et qui disparaît à la faveur de la lumière chaude des rayons du soleil. Mes personnages se levaient tôt. Ce qui n’est pas mon cas.

Selon toi, quel serait le meilleur contexte ou endroit pour lire ce livre ?
Il faut le lire par bout, n’importe où, mais idéalement dans un moment où on espère vivre dans un village coloré. En tout cas, c'est comme ça que je l'ai écrit.

Quel animal représenterait le mieux ton bouquin ?
L’ours parce que tout le monde en parle sans en avoir vu, et le kangourou, pour la même raison. Il faut lire l’ours et le kangourou de Roch Carrier pour comprendre que découvrir un pays se fait en cherchant une chose pour en trouver une autre !

À qui dédierais-tu ton travail ?
Je ne l’ai dédié à personne. Mais je suis très reconnaissant envers mes parents qui m’ont transmis l’essentiel. Mon père, le sens de l’organisation et ma mère, le sens des mots.

Café: Jamais . C'est un breuvage qui détruit. On a beau crier que les fast-food sont un danger pour les  jeunes. Le café est cent fois pire. Mais personne n'en parle. De plus, ce foutu breuvage incite les gens à faire la file en voiture à un comptoir pour se le procurer. Vous avez vu la concentration de gaz  que ça provoque ? Non . Pas de café pour moi. 

Personnes à réunir pour un repas: Mes filles, l'une est criminologue et je ne sais absolument pas ce qu'elle fait mais elle fait bien puisqu'elle n'en parle jamais. L'autre est sociologue, c'est pire , je ne comprends pas vraiment le but de ses recherches  c'est tellement pointu que je crois qu'elle est en train de changer le monde à mon insu. Leur mère, comme moi enseignante , au primaire ,était aussi dans  un monde que je connais pas vraiment. Je sais juste que nos enfants devenues adultes, pour Chantal , sont encore des enfants. 

Une lecture recommandée: Lisez la Bible, et vous devriez constater que ce livre est fascinant. La moitié de ce qui y est raconté est probablement faux. Mais après avoir tant lu de roman , je me dis que c'est ça le truc, raconter pour raconter. Vrai ou faux ,l'important c'est l'impression , l'empreinte laissée sur notre vie. J'aurais pu dire Steinbeck , mais il n'a pas inventé les raisins ni la colère. 

Activité de décompression: La marche. Sans but. Chaque pas est une aventure. On ne sait jamais qui sera sur notre route. Parfois, on change de route quand on sait qui est sur notre route. C'est très révélateur. 

Une activité passionnante: L'art dramatique. Je m'intéresse au public. Si le public est là ,il est responsable de ce qu'il verra et entendra. Un comédien oublie son texte, le public doit sentir que c'est sa faute. Quand le public n'est pas là, le comédien ne se trompe pas, personne ne le sait en tout cas. Le trac, c'est le public qui le provoque. On ne peut pas être un spectateur innocent, il faut prendre ses responsabilités. Applaudir. Rire. Pleurer. Être silencieux. Le travail du public est la dernière pièce du puzzle. Sinon, le théâtre n'a pas lieu. 

lundi 6 février 2023

Résistance à la régionalisation des services scolaires -1969


Malgré des rapports positifs et une étude approfondie des avantages que procure le regroupement des élèves du secondaire  en un seul lieu, les parents des localités voisines résistent. Plusieurs régions du Québec voient la rentrée scolaire boycottée. La résistance aux changements est bien ancrée. Des parents craignent que les jeunes élèves soient mal encadrés, que le temps passé dans les transports scolaires soient nuisibles aux études des enfants, que l'éloignement des salle de cours du milieu villageois  soient synonymes d'une prochaine fermeture des écoles locales ... On en dit des choses ! 



Le Soleil, 9 septembre 1969

 

1959 ,on réclame une route vers Chicoutimi et on ne veut plus de traversier !





1966: 7 ans après le cri du coeur de Louis-Joseph Fortin, tout est est presque réalisé.

                                                             
Le Progrès du Saguenay , 19 juin 1959


 





HISTORIQUE DE LA ROUTE 172

Il est a noter que Jean-Arthur Lessard (Ernest Lessard et Marie Gauthier)  ,originaire des Bergeronnes, fut l'un des plus ardent défenseur de la route Tadoussac-Chicoutimi. Commerçant à Chicoutimi , l'homme était très influent dans le  milieu des affaires et défendait avec vigueur  cette route, qui selon lui, permettrait à la région de se développer. Il fut réclamé longtemps que cette route porte son nom. Le mont Adela-Lessard  fut baptisé en l'honneur de sa soeur .

Saguenayensia, 1998 , vol 40 no 4