Paradis perdu
Paru dans
Janvier 1961
Dans le village de
Bergeronnes, il y a une église. Une église qu’on a failli recouvrir de claboard
de vinyle. Pour la protéger de la pluie à tout jamais. Et pour protéger les fonds fondants de la
Fabrique : les quêtes du dimanche s’amenuisant proportionnellement au
nombre de fidèles fréquentant la messe. Les gens ont réagi, on ne laisse pas un
monument être recouvert de plastique. La nuit, les gens devaient cauchemardiser
qu’un jour, il faudrait se résoudre à honorer les morts avec des pierres
tombales de plastique; une odeur de plastique envahirait vite le village
vieillissant et serait pour un village lové dans la forêt et le granit, un
déshonneur.
Mais avant la débâcle, dans cet espace gris
d’à peine 10,000 pieds carrés, une loi avait traversé les générations, empreint
les comportements quotidiens et encadré plus d’une vie. Dans la rotonde située sous
le chevet de l’église, on baptisait. Quiconque aurait voulu échapper à
l’exorcisme, se portait en état d’exil dans les terres mêmes de sa naissance.
C’était le lieu initiatique. Où naissaient les mythes. Où mouraient les
légendes.
Je suis né en pleine tempête. Il viendra au monde une trentaine de petits
Bergeronnais et petites Bergeronnaises, en cette année de 1961. Espérance de
vie : 71 ans. La garde Mailloux assiste Madeleine et lui annonce qu’elle est
enceinte. Naîtra donc Jean-François B.- Puis, José S. -Liette B. -Hélène B. -Patrice
B. - Joris G. -Aldo B. -Claude B. -Denis M. - Dominique L -Chantal L. -Serge A.
-Pierrot L. -Hervé C. -Dany D. -Étienne M. -Lynda L. -Étienne H. -Sonia C. -Germain
T. -Fernand B. -Germain G.- André G.- Anne L.- Lucine I.- Nancy F. -Guylaine B.
Février 1987
Dans le village de
Bergeronnes, il y a un aréna. Le printemps venu, on le ferme pour le reste de
la belle saison. Cet aréna sent le ciment et la pierre, matériaux parfumés par
la steam des hot-dogs gonflés de ketchup Heinz de mesdames Mérilda et
Françoise. Il est froid et humide. Même
en été. Comme une cave à légumes. Ce sont les gens du village qui l’ont érigé
au milieu des années 60. Au même moment où René Lévesque criait pour libérer
nos eaux des mains des Anglais et que le barrage de Bersimis 2 initié par
Duplessis achevait d’être construit, les Bergeronnais libéraient leur énergie
pour occuper leurs enfants trop énergiques. Le village avait maintenant deux
temples, même que le curé disait la messe à l’aréna les dimanches de tournoi de
hockey mineur. Ce qui ne change rien au fait qu’aujourd’hui, ceux qui ont
construit l’aréna l’ont fermé puisque les enfants trop pleins d’énergie sont
partis jouer au hockey ailleurs. Mais l’église, elle, est encore ouverte. Même
l’été.
Mars 1976
Dans le village de Bergeronnes, il y a un
cimetière. L’hiver, quand
une forte tempête de neige égorge les maisons voisines bâties sur le roc, personne
ne voit à un pied. Quand le vent se terre puis que la neige se claire, les
voisins devinent le Calvaire blanc du cimetière qui se découpe dans le vert des
immenses épinettes qu’un vieux curé a eu la bonne idée de planter quarante ans
auparavant pour donner de la vie à la mort, en hiver comme en été.
Jean-Charles à Barnabé à Julien est
mort à 76 ans. Le plus grand regret de mon père, devenu un vrai orphelin, se
manifestera le 15 novembre de la même année. Son père n’aura pas vu René monter
sur l’estrade.
Les morts de l’hiver passent par « la charnière ».
Les gens parlaient de cet abri temporaire, en le féminisant. La
mort rassurante au féminin : dans les années 20, voir mourir son frère ou
sa soeur dans les bras de celle qui jadis nous avait donné la vie fut longtemps
un malheur qui d’habitude arrivait.
Au premier
signe du printemps, les travailleurs occasionnels de la Fabrique, fossoyeurs
des amis, puisque tout le monde ici se connaît, étaient rapides à creuser les fosses.
Plantés dans l’immobilité du soleil peureux d’avril, les fossoyeurs s’arrêtent
après le premier coup de pelle qui a percé le sol encore dur et humide. Je suis
là, debout, à regarder être creusé le trou de mon grand-père. Je vois qu’eux
aussi, ils ont peur de chalouper. Tantôt quand ils ont pris une bonne gorgée de
l’eau que leur avait apporté l’épicier d’en face dans une cruche vide de jus de
raisin, ils ont senti dans leur bouche un goût âcre : c’est leur tête qui
se répand dans tout leur corps. Monsieur Marc a dit comme pour les
rassurer : « On va toute mourir pareil. Tabarsac! » Alors, ils ont bu
l’eau à la sauvette pour qu’elle ne porte pas les paroles de l’épicier.
Quand les deux hommes ont fini le trou, ils ont
attendu que je parte et ils ont descendu le cercueil au fond. Puis ils ont
refermé la fosse, replacé le gazon jaune et se sont salués de la main. Ce
dernier geste était le seul qui tenait du quotidien, un conformisme qui
aujourd’hui, jour des trous, reprenait son air de dire. À l’accoutumée dans les
trous, on y enterre beaucoup de bonheur et une oraison funèbre se présente
comme une béquille qui viendra soutenir la vie qui continue. Coucher les morts
de l’hiver dans le sol du printemps, c’est comme planter une graine qui ne
poussera pas. Mais je savais que dans un dernier cadeau à la vie, les défunts se faisaient humus
pour nourrir la terre et les grands conifères…
Avril 68
Dans le village des
Bergeronnes, il y a un bureau de poste. Il y a bien du bonheur qui arrive par
la malle que le père Georges dépose sur le comptoir ou dans les casiers. Le
journal local, les paquets c.o.d. (cash on delivery), Le Soleil et les
bonshommes du samedi, les lettres des tantes parties en ville et qu’on ne reverra
qu’à l’été, les catalogue de Noël de Sears et d’Eaton, les Je me renseigne
de Grolier, les photographies, les lunettes, les dentiers, les diplômes, les
chèques, le Châtelaine de Madeleine, le Maclean d’Ovila, le Vidéo-Presse
des enfants, les cartes de souhaits … Le bureau de poste est un peu la fenêtre
de Bergeronnes sur le monde.
Mai 1972
Dans
le village de Bergeronnes, il y a une école. La partie initiale érigée en 1934,
est de bois, la construction de 1948 est en brique et l’aile neuve érigée au
début des années 60 est de briques et de tôles d’acier non profilés. Ce
bâtiment fut le couvent des sœurs du Bon-Conseil, l’académie Bon-Désir, l’École
secondaire Bon-Désir… Sous les classes de l’aile neuve, il y a une grande
salle. Les gens s’entêtent à l’appeler la grande salle du couvent. La dalle
faite de terrazzo accueille les pieds les plus divers : les souliers de
semaine des joueurs de bingo, les souliers vernis des élus municipaux, les
souliers nerveux des comédiens, les fiers escarpins des réceptions, les bottes
des cinéphiles, les espadrilles des élèves d’éducation physique, les pieds nus
des judokas… J’y ai vu Les Belles-Soeurs, deux Labiche, Les dix petits nègres,
des magiciens, des hypnotiseurs, l’orchestre à Roger (Les Indécis), le Bonhomme
Carnaval et le Père Noël…
En
1972, la septième année disparait. Pour équilibrer les groupes, on place des
élèves de la classe de madame Bernadette Gagnon-Fafard dans celle de madame
Madeleine Gauthier-Imbeault. Je ne le sais pas à ce moment-là, mais ce
changement de classe me mènera sur la scène de la grande salle du couvent
! Une petite saynète montée en compagnie
de Jean-François Bouchard (à Welleston), Dany Deschênes (à Léo) et Germain
Tremblay (à Paul-Eugène) qui a bien fait rire nos collègues des deux classes de
sixième est inscrite au programme de la Fête des mères du 13 mai. Dany est un Denis Drouin en puissance.
Germain est notre guide. Il a une excellente mémoire. Jean-François escamote
les répliques et rit autant que la foule !
J’improvise si nécessaire. J’improviserai toute ma vie.
Juin 67
Dans le village de
Bergeronnes, la route 15 traverse la place d’est en ouest, comme un ruban mal
attaché qui ondule dans des cheveux hirsutes. S’y emprisonnant, la route décrit
un mouvement acrobatique qui laisse croire que le mythe des promesses
d’asphalte de Duplessis serait vrai.
Il y a toujours des
passants qui s’arrêtent au restaurant Le Voyageur. Souvent, ils passent
derrière la maison familiale et se rendent jusqu’à la coulée qui s’étend
jusqu’aux buttes à Valmore et ils prennent une photo. Se déploie en
contrebas une petite rue qui forme une espèce de zéro tracé malhabilement par
les propriétaires qui voulaient tous voir la rivière, comme on veut admirer un
collier qui coule dans le cou d’une belle. Le tout était à la hauteur d’une
petite rivière sinueuse qui flattait un carré de bois empli de roches, vestige
d’un ancien pont couvert. Les maisons observées de cet endroit, paraissaient
avoir été déposées par un enfant géant qui jouait à construire un village. Un
poème de Saint-Denys-Garneau.
Ce jour-là, c’est Henri
Caron, casqué de bleu, qui attire l’attention. Il s’est arrêté avec son cheval
devant la maison d’Adrien Guay. L’animal tire une charrette rouge à quatre
roues où sont déposés les outils de l’homme d’entretien du village. Cet
anachronisme bat tous les paysages. Un
homme appuyé contre le poteau qui soutient l’affiche Shell du restau se prépare
à photographier la scène. Il attend que le cocher remonte. Il suffit qu’Henri
Caron fasse un bruit avec sa bouche pour que le cheval redresse la tête et
reprenne la route.
Puis la bête avait lâché
derrière elle, un gros paquet de crottin.
C’était son autographe!
Juillet 72
Dans le village de Bergeronnes, le
vent est nordet tout l’hiver. On l’a de dos ou de face à cause de la
configuration est-ouest du village. Les gens ici se battent pour avancer et
d’autres fois n’ont qu’à tourner capot pour s’envoler. Dans les villages aux
alentours et aussi loin qu’à Sept-Îles, on ne sait pas ça! On constate
seulement que le fait de transiger avec un Bergeronnais, c’est comme parler à
un maudit Français : il est avant
nous, il sait déjà, et s’il ne le sait pas, c’est que ça ne valait pas la peine
de le savoir. Et d’une génération à l’autre, même si ton père est déménagé dans
la ville de ta mère et que tu te retrouves à l’aut’ bout du monde, tes vraies
racines ce sont celles de ce village. C’est comme ça que le vent frette a
façonné ce monde-là ! Et l’été, ça ne
change pas grand-chose !
Or, au cœur de l’été, arrivaient
de partout des cousines et des cousins. Des Lamontagne, des Tremblay, des
Bolduc, des Jean, des Glazer, des Maltais… Et souvent le chemin se faisait
aussi à l’inverse, le Rat des champs se rendait chez le Rat des villes.
Notre Rat des ville,
Pierre Glazer à Paul, fils de ma tante Victoire Sirois, s’intégrait très
rapidement à la gang et jouait avec nous sur les trois champs de balle du
village : l’officiel situé devant l’école Dominique-Savio, celui des
terres de Léon Jean et le champ de trèfles et de fraises qui fut jadis
l’aéroport de Pagé. Il nous arrivait aussi de nous exécuter dans l’espace
restreint qui séparait le terrain de Camille Boulianne et le garage du père
Albert Tremblay. Il suffisait de ne jamais cogner la balle vers la droite, pour
éviter la grande baie vitrée de la maison de Léo Desbiens à Roméo.
Pauvre Glazer ! Il se
prenait pour Bob Bailey et au lieu que d’expédier la balle dans la piscine, il fracassa
la vitrine !
Nous, les Saint-Laurent,
les Bouchard, les Boulianne, les Glazer, les Brassard, les Lessard et
alouette…avons tous décampé dans le champ de fraises avec l’idée de prétendre y
avoir joué tout l’avant-midi, l’alibi parfait ! Le Rat des villes avait une
autre défense : il plaidait le fait que de construire une maison derrière
une autre maison était impossible à Saint-Hubert et que de ce fait, il n’était
pas coupable.
En tant que Rat des
champs, mon frère Mario décida de m’envoyer au front pour expliquer le problème
à monsieur Desbiens dont on pouvait apercevoir la voiture stationnée chez
Méridée Gagnon et Marie-Laure…
Et quand je revins de ma
mission obligée, je racontai que madame Mariette Gagnon à Arsène m’avait fait
de gros yeux et que monsieur Desbiens avait fait peu de cas de notre bévue. Il
avait dit de sa voix éteinte : « Tu diras à ton père qu’on va appeler
les assurances. »
Ils y avaient tous pensé.
Mais aucun d’eux n’en avait parlé. « Ben oui, les assurances! » Rats
des villes ou Rats des champs, c’était bien tous des Bergeronnais.
Août 74
Dans
le village de Bergeronnes, il y a un vieux quai :
il est situé pas loin de l’entrée de la rivière Grandes-Bergeronnes, il allonge
artificiellement la Pointe-à-John. Personne ne sait pourquoi la Pointe-à-John
s’appelle la Pointe-à-John. Absolument personne! Pas même les spécialistes en
toponymie du Québec et du Canada ! Et encore moins les historiens autoproclamés
du coin.
C’est là que les jeunes adultes du village
stationnent leur voiture sous les étoiles pour prendre une bière en regardant
dans le vide. Ce quai, les nuits d’été, c’est le rendez-vous des paroles
perdues. L’hiver, il ne sert pas à grand-chose.
Le jour, ce quai
accueille des rentiers, des chômeurs d’occasion qui attendent leur call et
d’autres flâneurs qui viennent remplir leur calepin de chouennages polis.
Un matin, comme ça,
j’arrive avec mon vélo sur le quai, je profite d’une pause pour laisser la
brise venue de la Pointe-Sauvage s’enfiler dans les coutures lâches de mes pantalons
Adidas bleus à trois barres jaunes. À 13 ans, j’ai l’impression que les adultes
parlent une langue qui appartient à un autre temps. Une langue imagée dont je
reconnaîtrai plus tard une certaine parenté avec le théâtre de Pagnol.
Au sujet d’un patron
-Il les fait travailler, lui, c’est facile
il est au bureau.
-Quand on est le moteur, on ne peut pas
être le volant.
-Pour chauffer une maison, la bûche a
autant de mérite que la cheminée pis le poêle.
Au sujet d’une entreprise
- Ça marchera pas, cette affaire-là.
-Un cheval à trois, c’est pas chanceux.
Tout le monde veut tenir les cordeaux.
-Le cheval vient qui sait pus quel bord
prendre.
-Y’en a un qui va finir par garder la
selle pour lui tout seul.
Au sujet d’un homme malhonnête
- Il peut changer le nom de son chien s’il
veut, mais c’est encore lui le maître.
Au sujet d’un adultère
Il (ou elle) laisse ses pantoufles à deux adresses.
Septembre 69
Dans le village de
Bergeronnes, il y a un dispensaire. Ce genre de bâtiment tout peint de blanc
porte officiellement le nom de dispensaire-habitation. Ce modèle datant
de 1930 présente un solarium, un cabinet destiné aux consultations médicales,
une aire d’habitation de deux étages et une cuisine d’été à l’arrière. Un
garage y est aussi annexé. En 1968, le grand terrain qui tient le dispensaire
en retrait de la route 15 est quotidiennement traversé de travers par les élèves
du roc qui se rendent à l’école Dominique-Savio et ce en dépit des nombreux
avertissements reçus par nos parents. « Ne passez pas par-là, ce n’est pas
chez-vous. »
Ce sera un autre
événement qui servira de leçon à notre empiètement sur la propriété d’autrui.
Au centre du terrain, un
affaissement s’était lentement creusé sous le poids des nombreux passages
d’écoliers. Nous trouvions la chose mystérieuse. Comment une telle courbe
inversée pouvait-elle s’être inscrite aussi rapidement sur ce terrain relativement
plat.
Mon frère fut le premier
et le dernier à obtenir la réponse quand un midi, il s’enfonça sous nos yeux
dans le gazon. En lieu et place de la déclinaison, le terrain s’était ouvert
comme une trappe et Mario avait été avalé par le sol. Les sables mouvants dans
les films de Jim la Jungle avaient le même effet sur les aventuriers.
Sous le gazon tapé par
nos pas et maintenant éventré se trouvait un ancien puisard creux de plus de
deux mètres. Mario se souvient s’être enfoncé à deux reprises, tentant à chaque
fois de s’accrocher aux parois pourries de l’ancienne fosse. L’intervention de
Sylvain Gagné (à Gilbert et Rosette Otis) lui sauva la vie.
Au printemps de 2013,
alors que nous sommes Mario et moi à préparer la maison familiale pour l’été,
je suis témoin de retrouvailles entre Mario et Sylvain qui passait sur le
trottoir d’en face. Le premier souvenir qu’ils évoqueront : le puisard. 44
ans après.
Surprenante résonance qui
me conforte dans l’idée que les lieux n’existent que dans les liens qui nous
unissent aux autres, définis par des réalités multiples où chacun pose sa
pierre.
Octobre 81
Dans le village de
Bergeronnes, juste au centre de la côte du roc, il y a un petit hôtel : 3
chambres toujours vides - sauf l’été -, un bar toujours plein, et assez de
fenêtres pour qu’à partir de midi, on puisse regarder briller la lumière du
soleil à travers le brun des grosses bières et donner de la vie au houblon qui
se meurt d’être enfin bu. Ce qui la nuit ne change pas grand-chose. Le carrelage
est vieillot, la patronne ne suit plus la mode depuis des années, la porte du
bar est donc orange et le plancher pareil.
Je viens de passer deux jours à vivre dans un
hôpital à voir mourir mon père. J’entre au Fortin en ce mardi soir. Je veux juste
me sentir vivant. Marie Uguay, une poète, écrivait que dans le mot connaître,
il y a le mot naître. Et ici, dans ce petit bar pendant toute la soirée
j’entendrai parler de mon père, je l’entends renaître au bout des lèvres des
uns et des autres. Le commentaire de la soirée, celui qui me restera en tête
pendant les deux jours qui suivront, vient de Marcel Lapointe (à Lionel et
Blanche Guay), le scieur à la coiffure des années 60, qui traîne dans ses
vêtements l’odeur antiseptique des résineux qu’il décante du matin au
soir.
« Vous autres, vous
aviez un bon père. Il perdait jamais son temps. »
Ma mère rejoindra le club
des veuves de Bergeronnes. Quand je pense à ses femmes seules, je ne puis
m’empêcher de voir Henriot Simard (à Albert et Anne-Marie Bruyère) transportant
dans sa camionnette tous les morceaux de tuyau du monde, s’évertuant à souder,
à clouer, à scier, à coller à la place de Phillias, d’Ovila, de Thomas, de
Gérard, de Jean-Paul, de Paul-Aimé, de François…
Novembre 89
Dans le village de
Bergeronnes, il y a un vieux magasin général qui spécialisation oblige, est de
moins en moins général. GLR est maintenant la propriété de Renaud Bouchard,
Christine Lessard et Jacques Gauthier.
Christine (à Adélard et Marthe Martel) fut longtemps le pilier de ce magasin.
Je puis dire sans me tromper qu’aux premières heures de GLR, la présence de
Christine fut non seulement rassurante mais aussi déterminante. Il fallait dans
certains secteurs faire des placements en juin pour l’hiver suivant, Christine
était dans ce domaine de bon conseil, son expérience valait bien une étude de
marché ! Elle savait accueillir la clientèle et proposer des achats sans jamais
se mettre à dos un acheteur. Combien de fois l’ai-je entendu dire à Léo, au
sujet d’une marchandise que nous avions peine à écouler : « Mets ça
sur le bout du comptoir puis à midi, tout sera vendu ! » Ce n’est pas pour
rien qu’en 1984, la Duchesse Christine contribue à sauver l’église de
Bergeronnes du parement de vinyle ! Elle aurait pu vendre un billet de tirage à
Séraphin Poudrier en personne! Au premier party de Noël de GLR, elle m’offre un
roman de Boris Vian. Je vous le répète, un cœur démesuré, un être attentionné, la
fille à Dollard, unique!
Tous les décembres de
toutes les années
Dans le village de
Bergeronnes, il y a une tempête perpétuelle. Elle sévit dans la tête de chaque
Bergeronnais, entretenue par la souvenance d’un village illuminé de vert, d’or,
de bleu et de rouge pour célébrer Noël. Du promontoire de Noël Lessard à
Euclide sur la côte l’aut’ bord jusqu’à la maison de briques jaunes de Noël
Gagnon à Alexandre , en passant par la maison allongée de Jean-Noël Tremblay à
Albert , le vent qui souffle dans les souvenirs des Bergeronnais est si fort
qu’il fait danser le vert, l’or, le rouge et le bleu dans les sapins . L’hiver
est un instant maître du village et nul ne s’y oppose : la porte lourde de
l’église poussée par le vent refuse de s’ouvrir, des pneus crissent en dérapant
dans la côte su’ Edouard, la fumée blanche des moteurs s’envole, le givre des
vitres des autos reçoit les dessins des enfants, des piétons courbés pour
affronter la fameuse côte s’en souhaitent un joyeux. S’effacent en quelques
minutes, ces scènes ponctuelles, le chemin s’est reblanchi et André Boucher,
bedeau circonstanciel, monte à son tour, l’oeil sur les décorations qui ornent
la longue galerie de Gérard Lessard, signal annonçant le chemin de sa demeure
où l’attendent les siens.
***
Il y aurait
sur le thème de la mémoire, un ballet à chorégraphier. Il faut être attentifs
aux signes avant qu’ils ne s’envolent ! Première entrée de ce ballet : me promenant dans un sentier avec mon chien, pourquoi
suis-je tout à coup envahi par une image que je croyais perdue à jamais ? Que cachent ces images, sinon le commencement de soi.