Les buttes
Une belle eau que cette rivière coule
Un beau vent que ces arbres brisent
Voilà ce pays à l’envers que mes bottes font marcher
C'était une douce soirée d’hiver, une soirée consolante des grands froids
passés, une soirée où le ciel noir était criblé de points blancs, trop lourds pour flotter et pas assez pour résister aux vents venus d’aussi loin que le Lac-à-Raymond. Derrière chaque marcheur qui sortait de l'église Notre-Dame de Bon-Désir, des plaques grises marquaient les pas sur le trottoir. Certaines révélaient des couples, d'autres la lenteur d'un vieillard ou bien la hardiesse d'un enfant...Un grand
rectangle d’asphalte signalait qu' une voiture venait de quitter la caisse populaire située en plein milieu de la côte du crain .Et toute la nuit, la neige et le vent feraient disparaître le village sous une épaisse couche de plaisirs.
Quand nous étions enfants, petits et insouciants, le lendemain
d’une bordée de neige, mes sœurs et moi allions descendre les buttes à Valmore.
Elles, la corde tendue du toboggan à bout de
bras, et moi assis dedans, nous grimpions les pentes qui défiaient nos âmes de
héros .
Après quelques descentes ,la neige poudreuse nous collait
au visage. Nos sourcils étaient blancs, nos tuques perlées d’eau et nos bottes
de rubber brunes avaient le mouton glacé.
Quand les mitaines de laine tricotées par notre mère
commençaient à être humides, nous pensions à rentrer. Souvent, ils nous
arrivaient de faire durer le plaisir , et ce n'est pas la bibitte aux doigts
qui nous le faisait regretter.
Mes trois grandes sœurs, plus enjouées et moins fatiguées
que je ne l’étais, gravissaient la pente sans relâche, dans un aller-retour
incessant qui leur arrachait des cris de stupeur. Un geste perpétuel qui durait
tout un après-midi. Et trois heures, dans la vie d’un petit bout d’homme, c’est
heureusement l’équivalent de toute l’éternité.
Moi, plus enclin à la rêverie, je m’arrêtais au bas des pentes
pour observer les glisseurs. Accroupi dans la neige, les mains appuyées de
chaque coté sur mes genoux, je restais là de longues minutes à imaginer être
ailleurs. J’aimais aussi goûter la
neige. C’étai si bon. Surtout ça fixait à ma mémoire cette histoire racontée
par le curé Gendron au sujet des fils d’Abraham qui se nourrissaient de manne
dans le désert. Autant m’en souvenir.
André Morency- 1910-2003 Il est l'élève d'Ozias Leduc et l'illustrateur de L'abatis de F.A. Savard ,1943 |
Après mille gestuelles, mille cris , nous partions vers
la maison , contentés.
Et dans ma tête, dansaient les paroles du jour :
« Claire, descend pas trop vite; Rose, attention à la rivière en bas ! Les bonhommes de neige marchent-ils
la nuit ? La prochaine fois, je descends la côte sur un pied, gages-tu ?
» Tous nous étions devenus chasseurs de buttons. Dompteurs de toboggans
sauvages .
Les joues rouges, emmitouflés sous nos foulards que ma
mère appelait des scarf, nous franchissions enfin le seuil de la porte , fatigués d’avoir marché…d’avoir rêvé aussi!
Enfin, la chaleur de notre maison. Je m’étais ennuyé, dans
l’éternité des buttes à Valmore, des gestes de tendresse de ma mère… Nous savions sans le dire que
maman avait guetté tout l’après-midi à partir de la fenêtre givrée du solarium d’en
arrière, les points noirs qui , presque invisibles, glissaient sur les buttes à
Valmore, loin, loin de son cœur.
Elle nous aimait sans arrêt. Sans pause, continuellement,
sans jamais manquer d’amour. Cet amour sans fond, était pour elle, avec
l’inquiétude , une manière d’étirer le cordon ombilical.
" De la tarte, maman! Ma maman, nous a fait de la
tarte. Aux framboises! " criait Lynda que mon père avait baptisée avec
justesse, Gros-Ours. La nostalgie de l’été nous prenait à chaque bouchée.
Demain , mes sœurs retourneront à l’école. Et je savais bien que pour revivre cette journée magique, il me faudrait attendre une autre bordée.
Quel beau conte qui ravive mes souvenirs d'enfance. Mes frères et moi allions nous aussi nous glisser sur les butes à Valmore. C'était juste derrière chez-nous de l'autre côté de la rivière. Il nous arrivait aussi de nous glisser dans la coulée derrière la maison tous entassés dans un houde de char. Quels beaux souvenirs que ces rappels de notre enfance. Merci de me mettre la joie au coeur surtout en ce temps de Noël.
RépondreSupprimerMerci de votre commentaire. Odette Maltais , fille de ?
SupprimerSalutations! Joyeux Noël !
Robert, fils d'Ovila et Madeleine .
Moi aussi j'ai glissé dans les côtes à Valmore..Quels beaux souvenirs d'enfance..Je demeurais dans le Bassin et ces buttes étaient facilement accessibles.J'ai même fait du ski dans la côte dernière notre maison c'était mes premières expériences et souvenirs inoubliables avec les petits voisins Jean Caron ,Luc ,Hugues Tremblay,sa soeur Rhodes ..Comme nous étions heureux!
RépondreSupprimer