Instant de vie chez les Bouchard

Instant de vie chez les Bouchard
Claude Mattheau, 2014

jeudi 4 juin 2020

Maillon d'été (1980), maillon de vie.

Josée Savard était responsable du projet pour Bergeronnes et Tadoussac. Je rédigeais  
et Josée, finalement, rédigea aussi. 

Du champ de balle au champ sémantique 

Puisqu’il a bien fallu que je trouve ce que je devais  devenir , je me suis laissé élever. Le proverbe dit qu’il faut tout un village pour élever un enfant et il advint que le village à l’adolescence s’ouvrit tout entier à moi. Freudien s’abstenir ! 


Modèle du Département de l'Instruction publique
 -école de village à quatre versants -



Dans le village ,il y a une ancienne école. La maison à Paupau . C’est un monsieur Henri Gagnon qui l’habitait. La maison, une ancienne école, est fenestré plus qu’il ne le faut. Il y a parmi les nombreux enfants paupau: Christian, le seul qui soit de notre âge . Il joue l’été avec nous au baseball dans le champ derrière chez-lui. Dans l’ancien champ d’aviation, il y vole au temps de ma jeunesse , des balles et de beaux circuits ; on y entend le cri des enfants , les voisins dont la galerie arrière et la corde à linge donnent sur cet espace libre, distinguent  au loin des casquettes rouge et blanche , nous sommes tous des Expos : Christian à Paupau , Bidule, Méo, Bardarot, Baquet, Ti-Pet ,Banane, Momo, Cheveux-verts, les trois Saint-Laurent, Saucisse, Miquette, Richie, Cinligne, Pierrot, Gros-Jean, L’Oignon et j’en oublie...

John Philip Falter    1910–1982






Nous étions tous donc, des Expos ! Sauf Méo qui avait écrit par-dessus le sigle des Expos, Oriole de Baltimore!  Le champs vide , aujourd’hui, n’existe plus. La route passe dessus, le premier but est devenu une sortie alsphaltée, notre circuit une cantine, le ball-stop est peut-être parmi ces restes qu’on a constitué en morène. Je n’y fouillerai pas , jamais , de peur d’y trouver une balle morte. C’est là dans cette maison qui a dominé nos jeux d’enfants que je suis devenu un adolescent. 





 L’étranger venu de Lyon

Il faut maintenant que je vous parle de Pierre Rambaud. Il le faut comme il faut respirer. Disons que Rambaud comme l’appelait tout le reste du village, était perçu comme un étrange et un poteau , ce qui lui valait deux prises avant même de prendre le bâton. Dans un village, les rumeurs vont plus vite que les nuages quand le vent vente de l’ouest en été. Je ne sais pas tout de l’arrivée de Rambaud dans mon village qui n’était manifestement pas encore le sien quand je l’ai connu. Résumons le casse-tête : un français , un peu hippie, un peu journaliste,  un peu polémiste, un peu athée ou agnostique (?) , un peu socialiste. Et j’en passe. Tout pour énerver un village de catholiques québécois assez conservateur. Pierre donc, je le connais par le journal communautaire du village. Le Maillon, organe officiel de la Chambre de commerce locale est devenu un véritable journal communautaire. Pierre travaille à faire du journal local, une tribune ouverte à tous  et à tout. Et en un sens, le fait de fréquenter le journal m’offre ma première occasion d’atteindre mon rêve: écrire et être lu. L'équivalent pour un flo ou une floune né.e au XXI siècle de s'inscrire en golf-école, ballet-école ou  passion-école pour faire court.
 
Mon père disait que j’étais un saumon. Parce que j’avais toujours l’idée de revenir à la maison quoi que je fasse et où que j’aille. J’avais aussi cette idée d’être fidèle à ce que je disais. Si mon père fut par ses rares paroles, moins présent dans ma vie, puisque j’appréhendais la réalité  par les mots, il fut néanmoins une force utile à ma compréhension du monde de par sa seule présence : une parole rare  certes, mais combien significative. Un seul mot: saumon, et je le devenais. Une phrase: Fais-le, tu vas mourir pareil . Et c’est ainsi que  j’ai essayé d’être fidèle à ma source

Je me couche et je sais que le lendemain, je lirai mon premier article dans Le Maillon. Je n’en dors pas de la nuit. J’ai 16 ans. J’ai déjà écrit des textes pour l’école, des textes corrigés à l’encre rouge par des enseignants besogneux, des textes obligés avec des sujets imposés. Sujets que je finissais toujours par tordre suffisamment pour avoir du plaisir à écrire. Donc Pierre Rambaud pour moi, c’est le libérateur. Il libère ma parole, me donne le droit d’avoir un style, de ne pas fabriquer des phrases scolaires. Je fais des fautes, je ne maîtrise pas le code mais on me laisse écrire quand même, je ne suis pas automatiquement renvoyé à ma place, et j’apprécie chaque moment passé au Maillon. C’est là que j’apprends qu’on peut chacun notre tour être le patron du journal. À partir de ce moment, je ne serai plus jamais président de rien, j’insisterai pour être coordonnateur ! 

Le journal, c'est aussi un étrange passage, pas comme un rite de passage qui vous propulse artificiellement dans un monde autre, mais plutôt comme une caverne, tunnel où m'écorchent les parois rugueuses de la micro-société dans lequel je grandis. J'apprends à ne pas faire l'unanimité, à m'enfarger dans le pouvoir des mots imprimés dont le sens parfois m'échappe...Je peine des gens, je voulais les faire rire; d'autres se scandalisent, je voulais juste réfléchir tout haut; je traîne Le Maillon symboliquement en moi, il n'est pas question à l'école, à la maison, au travail, au hockey...de juste suivre le chemin le plus aisé. Terminé ! Compliquons les choses en  prenant position , juste pour jeter l'oeil plus loin que la talle d'aulnes qui bloque la vue au conducteur dans le détour du chemin de gravelle. 

Fut-ce une bonne école ? Fut-ce seulement une école ? J'espère que non. Ce fut, pour s'arrêter sur  un mot : un sauvetage. Je fus sauvé du village dans lequel je m'ennuyais un peu. Carnaval-Hockey-Église-Baseball-École ! Mouvement perpétuel que Le Maillon  rendit plus chaotique. J'avais maintenant une île à investir. Et aussi étrange que puissent être les chemins qu'on emprunte, je n'ai jamais de ma vie fait autre chose que des Maillons me  refusant à enchaîner les jeunes élèves qui me suivirent dans mes nombreux projets, à un ronron scolaire tranquille. Ce qui me valut quelques réprimandes administratives et beaucoup d'élèves volontaires ! 

Suis-je un peu content ? 
Beaucoup saumon.   

Inspiré par ce journal, je m'inscris en art et technologie des médias au Cégep de Jonquière, passage court d'une seule année où je constate que l'enseignement du journalisme apparaît être un entonnoir pour qui a connu le journalisme communautaire, un espace ouvert sur la communauté et participant de celle-ci.  

C'est à cette époque que je découvris Arthur Koestler , l'auteur du roman  Le zéro et l'infini. Et un passage me frappe: " Un mathématicien a dit une fois que l'algèbre était la science des paresseux - on ne cherche pas ce que représente x, mais on opère avec cette inconnue comme si on en connaissait la valeur. Dans notre cas, x représente les masses anonymes, le peuple. Faire de la politique, c'est opérer avec x sans se préoccuper de sa nature réelle. Faire de l'histoire, c'est reconnaître x à sa juste valeur dans l'équation. "   

Voilà bien défini ce que je tentai d'être.  (à suivre)












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