C'est en 1956 que mon père rencontre Philippe D'Auteuil à Trois-Pistoles pour démarrer en affaire. Le gérant de la laiterie Notre-Dame est aussi le propriétaire du cinéma de l'endroit en plus d'être impliqué dans plusieurs organisme du Bas-du-Fleuve. Il connait peu la Côte-Nord mais voit que les ventes peuvent y être bonnes. Ma grand-mère Rosa Rioux, originaire de Trois-Pistoles, sert de caution à Ovila , son beau-fils. Caution morale ,il va sans dire puisque mon père est déjà propriétaire de sa maison et a accumulé un petit avoir pour se sortir du bois! Littéralement.
Le travail forestier comme le travail en chantier n'intéresse plus Ovila depuis déjà quelques temps. Il a même refusé de suivre pour Labrieville (Barrage de la Bersimis) et il gardera la même position quand Lauréat Bouchard ,- qu'il traitait comme un frère puisqu'il avait séjourné dans son enfance chez madame Lydia Lessard (fille de Paul Napoléon Lessard et Delvina Savard) mariée à Joseph Bouchard,(fils de Joseph Bouchard et Eugénie Tremblay)- lui suggère de vivre à Micoua , un village temporaire destiné aux travailleurs du réservoir Manicouagan.
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Le Soleil, 17 juillet 2021 |
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Capsule d'aluminium et cire posée sur les pinte en verre à petit goulot |
Le commerce serait désormais sa façon de gagner sa vie. La première difficulté après avoir assuré son approvisionnement régulier en produits laitiers et ses dérivés: fromage,oeuf, beurre et viande de creton, sera de convaincre les clients que le lait pasteurisé et homogénéisé est l'avenir en terme de nutrition. En 1956, les cultivateurs étant encore actifs dans ce domaine, la production locale est encouragée aux Bergeronne par le curé Gendron qui ne se gêne pas pour en faire la promotion.
Mon père étant plutôt réservé de nature -et peu habitué à prendre sa place dans une fratrie puisqu'il était orphelin et fils unique, se résout à monter son commerce du coté de Les Escoumins et de Tadoussac. Sacré-Coeur et Bergeronnes résistent aux changements, mais font quand même partie du territoire à développer...
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Entrepôt de Trois-Pistoles |
Rosa Rioux, n'entend pas rester les bras croisés, elle a déjà fait face au curé Thibeault qui avait refusé à Rosario de réparer sa ferme un dimanche et ce , malgré le fait que que ses fils ne pouvaient lui venir en aide que ce jour...Femme instruite et sévère , Rosa ne s'en laissait pas imposer par la religion même si elle avait beaucoup de respect pour les membres du clergé. Elle rencontra le curé Gendron et lui expliqua son point de vue. Elle-même fille de cultivateur et mariée à un cultivateur,elle savait que le progrès sanitaire ferait avancer les fermes, l'expérience des cultivateurs de la région du Kamouraska parlait pour elle.
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Les bouchons variaient selon les saisons. Ils servaient de cartes de souhaits en décembre ! |
Les avantages du lait pasteurisé était indéniable et les journaux en parlait abondamment depuis l'épidémie de fièvre typhoïde qui fit 533 morts en 1927 à Montréal. Il avait été établi par des enquêtes épidémiologiques que le lait constituait un milieu propice à la reproduction de bactéries comme le E. coli, la typhoïde et la tuberculose.
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Conseil touristique en 1956 , Le Soleil 17 juillet 2021 |
Armée d'un argumentaire de maîtresse d'école, elle gagna le curé à la cause de Ovila. La baisse de la mortalité infantile, la destruction des germes présents dans le lait crû dit naturel et le taux de conservation plus élevé de ce lait étaient des faits reconnus en Ontario depuis 1915.
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Chaire en agronomie, Université Laval |
Au Québec, les règles de la pasteurisation sont votées par les municipalités de plus de 300 personnes ! La cause est entendue d'avance dans les villages et cantons à vocation agricole. Ce n'est qu'en 1974 que cette loi sera modernisée.
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Entête de facture et coupon échangeable contre une pinte de lait . Le système de coupon permet au client absent de payer et de signifier le nombre de pintes requises. |
L'essor du commerce est tel qu'il cède les territoires de Tadoussac et de Sacré-Coeur à Fernand Simard . Il développe également en partenariat avec Raymond D' Auteuil un service de livraison à Forestville et à Labrieville. Ce service, malgré un potentiel élevé, connaîtra des difficultés telles que mon père retire ses billes et se retrouve avec une maison à Forestville, pour non-paiement de factures. Le représentant avait négligé le territoire en expansion et pour être poli , avait abusé du système comptable !

D'Auteuil incite mon père à reprendre cette tournée à son seul compte . Le territoire est plus grand, plus profitable, et Forestville est en plein boum économique ! C'est mal connaître ma mère. Madeleine s'y oppose, il n'est pas question de déménager sa famille à Forestville. Selon elle , Bergeronnes offre de meilleures opportunités pour l'éducation de ses enfants et la proximité de Chicoutimi lui semble être une porte de sortie possible pour ce faire. De plus, Forestville n'a pas une bonne réputation: "C'est une ville faite pour travailler pas pour élever une famille " selon ma mère qui a travaillé au Staff House de l'Anglo avant son mariage. Férue d'images bibliques , Madeleine Sirois , en digne fille de sa mère , dira même que jamais elle n'ira habiter à Sodome et Gomorrhe !! Argument de poids ! Ce sont donc mes grands-parents , Rosario et Rosa qui iront passer un peu de temps dans la maison de la 14 e rue a Forestville . Antime, Maurice, Yolande, Rosaire et Victoire y habitent temporairement ce qui semble être un attrait... Une année plus tard, l'ennui les gagnant, les parents de ma mère reviennent aux Bergeronnes dans la maison d'Odina Lessard que mon père a achetée et transformée en deux logements. Entretemps, la terre du rang St-Joseph avait été vendue à Rosaire Gagnon (Thaddée). Même si mon père avait un oeil dessus, (il adorait cet endroit) ma mère opposa son droit de veto décrétant que le village constituait le seul endroit habitable pour des enfants.

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