Instant de vie chez les Bouchard

Instant de vie chez les Bouchard
Claude Mattheau, 2014

lundi 26 avril 2021

Cours d'été au Lac Gobeil

   



😊😊La première fois que j’ai entendu le mot sylviculture, j’avais 17 ans et je venais d’obtenir mon premier emploi d’été. À 3.47 $ de l’heure, je passerais un été de richard. C’était à l’été de 1978. Pour que vous compreniez bien ma richesse estivale, sachez que mon père, laitier, livrait un litre de lait pour 33 cents ! Une bière coûtait 60 cents au Manoir Fortin et 4.10 pour une caisse de douze à l’épicerie chez Marc Tremblay

Or, le mot sylviculture ne me disait rien. Ce n’était pas encore un mot qu’on utilisait couramment. Mais à la fin de mon été chez mon employeur d’occasion, soit la Coopérative forestière de Bergeronnes - Unité de gestion 91-, non seulement aurai-je appris un peu de latin, mais je me serai fait driller par nul autre que le président de la Coop forestière, Clément Gagnon

Logo festif qui souligne cinquante
années de coopération 

Le projet pondu par Clément consistait à mettre en valeur la plage du lac Gobeil, d’y installer des tables de pique-nique, des poubelles, de nettoyer les petits affluents qui oxygénaient le lac, de voir à la sécurité des baigneurs, de déboiser les petits sentiers qui couronnaient le lac du coté nord … 

Le lac était sous la responsabilité des municipalités limitrophes, un autre mot qui donna la permission à Clément de souligner les limites de mon vocabulaire ! Il me faut préciser que Clément accompagnait toujours ses remarques d’un rire profond que les cigarettes qu’il fumait à la queuleuleu finissaient par étouffer dans une toux sèche. 👀

N’allez pas croire que le président de la Coop était dénué de toute humanité ! Sous sa moustache amincie d'evzone grec et son teint basané , le Zorba du nord lançait des commentaires  joyeux ! Ses remarques piquantes nécessitait de ma part une attention soutenue parce que chacune était accompagnée d’une leçon de latin, de grec, d’histoire... 💥💥💥Le latin changea à jamais ma vision de ce lac : il était un trophée alloué aux municipalités qui le retrouvaient dans les limites de leur territoire ! Limitrophus ! 

Clément tenait des propos littéraires. Un jour alors qu’il m’avait mis au défi de composer un poème sur le lac Gobeil , il  m’instruisit sur Daniel Defoe, l’auteur de Robinson Crusoë qui disait-il était à la recherche d’un Paradis perdu. 🌊🌊Clément m’avait demandé de lui décrire une île. Son île. Le lac Gobeil. 

Ayant commis un poème qui fut affiché à l’entrée du petit pont qui menait à la plage, j’eus l’honneur de recevoir un congé d’une journée …Congé du lac, car Clément avait plus d’un tour dans son sac. Je fus promu assistant mesureur d’un jour.  🕔🕔🕔Toute une récompense : me lever à 5 heures du matin pour aller me faire manger par les mouches au nord de la 138 à la hauteur du Club de pêche Tadoussac où la coopérative faisait chantier ! 🌲🌲🌲

Ce fut pourtant une des plus importantes journées de l’été. D’abord, Clément ne conduisait pas une voiture, il conduisait une idée, l’idée que toutes les montagnes, toutes les rivières, toutes les épinettes étaient à nous. Nous, le peuple. Et je l’entendis citer, réciter même, Félix-Antoine Savard qui lui-même citait Louis Hémon. 📜📜📜

« Nous sommes venus il y a trois cents ans, et nous sommes restés... Ceux qui nous ont menés ici pourraient revenir parmi nous sans amertume et sans chagrin, car s'il est vrai que nous n'ayons guère appris, assurément nous n'avons rien oublié.

«Nous avions apporté d'outre-mer nos prières et nos chansons: elles sont toujours les mêmes. Nous avions apporté dans nos poitrines le coeur des hommes de notre pays, vaillant et vif, aussi prompt à la pitié qu'au rire, le coeur le plus humain de tous les coeurs humains: il n'a pas changé. Nous avons marqué un pan du continent nouveau, de Gaspé à Montréal, de Saint-Jean-d'Iberville à l'Ungava, en disant: Ici toutes les choses que nous avons apportées avec nous, notre culte, notre langue, nos vertus et jusqu'à nos faiblesses deviennent des choses sacrées, intangibles et qui devront demeurer jusqu'à la fin.

«Autour de nous des étrangers sont venus, qu'il nous plaît d'appeler des barbares; ils ont pris presque tout le pouvoir; ils ont acquis presque tout l'argent; mais au pays de Québec rien n'a changé. Rien ne changera, parce que nous sommes un témoignage. De nous-mêmes et de nos destinées nous n'avons compris clairement que ce devoir-là: persister... nous maintenir... Et nous nous sommes maintenus, peut-être afin que dans plusieurs siècles encore le monde se tourne vers nous et dise: Ces gens sont d'une race qui ne sait pas mourir... Nous sommes un témoignage.

«C'est pourquoi il faut rester dans la province où nos pères sont restés, et vivre comme ils ont vécu, pour obéir au commandement inexprimé qui s'est formé dans leurs coeurs, qui a passé dans les nôtres et que nous devrons transmettre à notre tour à de nombreux enfants: Au pays de Québec rien ne doit mourir et rien ne doit changer...» 



Le voyage fut de mots, comme si les épinettes, grand couvert noir sous le soleil, blanchissaient exprès pour accueillir les paroles de Clément. Et puis nous sommes arrivés à un chantier : des cordes de bois sur le bord d’une route gravelé, le bruit continu des moustiques, et un peu plus bas dans une coulée, monsieur Gilbert Gagné et son fils Sylvain sont à l'ouvrage . 

Il y en avait pour tous les sens: l’odeur d’huile brûlée de la "Timberjack" jaune, le treuil  prêt à tirer les arbres ébranchés que Sylvain venait d’enrouler avec un câble rude et rouille, lequel à son tour étranglerait le voyage de bois en longueur, mû pour ce faire par la force du cheval mécanique mené habilement par son père. 🌞🌞


Je suis étonné par la force de ces deux hommes, par leur lente ardeur au travail, lenteur de la prudence commandée par les risques du métier. Et puis le repas. J’ai presque honte de mon sandwiche au creton de ¼ de pouces 💭💭 quand je vois monsieur Gilbert mordre dans un sandwiche de pain de fesse où une tranche de baloney se fait aussi fournie que mon lunch au complet ! Quand j’en ferai la remarque à Clément, il me dira que c’est dur d’avoir un pays. 

Gilbert Gagné en 1975

Que le travail dont je n’ai vu qu’une mince partie, -(pas plus épaisse que mon lunch👦)- est dur mais plus important que tous les autres parce qu’il est à la base de tout le reste.  Clément a raison, il me manquait une dimension. Et voilà Tonton reparti. Cette fois j’ai droit à St-Exupéry.✈🐏🐏 Puisque ce pays est à nous, il faut après l’avoir apprivoisé en être responsable. À l’arbre  qu’on coupe, on doit donner une réponse et reboiser, on en revient à la sylviculture ! 

Quelle journée! Je ne me suis jamais couché de si bonne heure…💤💤💤 la tête pleine de ce pays qui était le mien.    

Sur ce projet au cœur du trophée lacustre que constituait le lac Gobeil, j’étais accompagné de Joris Gravel, Réjean Caron et Sonia Ross.  

Quel été. Merci Coopérative. 


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