Instant de vie chez les Bouchard

Instant de vie chez les Bouchard
Claude Mattheau, 2014

mardi 17 décembre 2019

LE PROCÈS DE SANTA AUX TGB

AVERTISSEMENT

Tout dans ce récit est vrai . Les faits ont été mélangés et/ou exagérés. Le procès est une invention. 


Petit Castro juste avant sa rencontre avec le père Noël




La salle du collège Dominique-Savio de Bergeronnes était bondée. Et pour cause, l’accusé était célèbre. Tous le connaissaient  intimement  mais personne n’aurait pu le décrire avec les mêmes mots. L’intimé échappait à toute singularisation et portait flanc à maintes généralisations. Certains le détestaient, il était pour ceux-là,  le mal  décliné en des  milliers de considérations.  Ceux qui l’adoraient, le portaient aux nues, et encore les motifs présentés étaient tout aussi nombreux que chez ses détracteurs. Pour tout dire l’inculpé n’aurait pu être l’objet d’un portait unique, ce qui n’avait pas facilité sa mise en accusation.

«  Le prévenu est accusé de méfait public, d’avoir troublé la paix et  de torture.  »   

-Vous avez bien compris l’importance des accusations portées contre vous ? demanda la juge à l’incriminé. 

- Oui, madame . 

-Et malgré cela vous maintenez vouloir assurer votre défense sans l’assistance d’un avocat ? questionna la Chouette Geneviève, nommée juge pour l'occasion.

-J’ai de toute ma vie, assumer mon propre chemin et je tiens à continuer. 

La déclaration fut reçue comme une vérité indiscutable pour les partisans de l’accusé et pour une hérésie par les autres. Les murs vert malade de l’enceinte vibrèrent des hourras des uns et des admonestations des autres. La juge écrasa le marteau que lui avait prêté le concierge Paul-Albert Jean afin de faire office de maillet, et de sa tribune, la Chouette  exigea le silence. 

-Avocat de la poursuite,monsieur Jacques Girard, trappeur et mathématicien émérite, la parole est à vous, dit la petite juge en jetant un coup d'oeil à  l'ivrogne du village dont les cheveux devenaient aussi rare que les goélands sur le top de l’aréna en janvier. 

«  Votre honneur la juge, j’aimerais citer à la barre, l’ivrogne du village.  (Ce dernier louvoya jusqu'à la petite tribune près de l’escalier où le juge avait installé son séant). Monsieur l’ivrogne (Par respect pour tous les clients de madame Germaine, son nom sera caché), est-il vrai que vous avez déjà vu le Père-Noël dévisser les ampoules rouges placées en guirlande qui ornent le talon incliné à 49 degrés du Manoir Fortin? » 

-Non seulement l’ai-je vu, je l’ai aidé ! répondit avec franchise l’ivrogne aux yeux rougis.

-Pourriez-vous dire ce que le Père-Noël a fait par la suite ?
  
- Ben là, il pognait les ampoule comme des balles de baseball pis il les pitchait sur le poteau de l’Hydro juste  en face,  l’autre bord de la rue proche du parking chez Roger Barbier.  Si y pognait le poteau, c’était une prise. Si l’ampoule se cassait sur le crain chez Patrick , c’était une balle ! Pis si un char passait en même temps sur la route, c’était une fausse balle! 

-Voilà pour le méfait public, monsieur le juge  ! Ensuite, est-il arrivé monsieur l’ivrogne, un autre cas de figure dont vous avez souvenir ? poursuivit l’avocat de la poursuite en mâchouillant une cigarette éteinte.

- Je suis peut-être souvent feeling mais j’ai une excellente mémoire ! C’est pas comme les petits jeunes qui se gèlent en juillet, si vous voyez de qui je veux parler…

La juge frappa un petit coup de marteau sur son pupitre scolaire  prêté par madame Ruth dont la classe était située tout près. 

-Trève de calomnie ! Cessez ! Nous sommes ici pour juger le Père-Noël et non les consommateurs de cannabinoïde ! chantonna la juge  tout en trompettant  dans un mouchoir emprunté à Henrio Simard, le monsieur bricole du village.

-Monsieur l’ivrogne, pouvez-vous raconter ce qui est arrivé lors  du sixième lancer  alors que  le compte était complet :  3 balles,  2 prises , et qu’une fausse balle avait été provoquée par le char à monsieur Laurent, l'épicier du centre du village,  qui allait livrer chez madame Mérilda, commis au  restaurant du Centre Civique.

- On avait tout prévu. Au sixième tir qui devait mettre fin à la manche, le Père-Noël  a pogné le petit Castro dans le  « casse » pendant son start  en Suzuki ! C’était  pas intentionnel ! 

- Pourtant vous saviez que petit Castro faisait des « Wheelés » de la Cantine à Aurore jusqu’à la pancarte des assurances  su’ Welley, justement  ! Non ?    

- Par habitude, il faisait des starts  chaque samedi de juillet. Mais ce soir-là,  le bijoutier Alphonse Tremblay nous avait dit que sa moto avait fait un flat en avant du cimetière… expliqua l’ivrogne du village.

- Alors cette information était fausse ! 

-Non, la Suzuki est arrivée d’en haut de la côte, le petit Castro faisait un start sur la roue d’en avant ! Pis en recevant l’ampoule, il a capoté et pis son casse a rebondit par  quatre  fois  dans le Fortin ; la machine à boules a tilté , le jeu de dames à Ti-Louis et Norbert  a revolé pis le jukebox s’est mis à jouer la  petite grenouille chanté en anglais par le groupe  The Police. Tout cela fit bien rire les frères Michaud qui n'en manquaient pas une pour se dilater la rate.

-Vous avez spécifié  quatre  rebondissements ? interrogea l'avocat de la poursuite, je sais compter vous savez !

-Oui, le casse a fini sur la tête de mademoiselle Céline Gauthier qui travaillait derrière le bar. 

L’avocat de la poursuite  se frotta les mains : 
« Donc, madame  la juge Chouette, on a ici un cas patent : le Père-Noël a troublé la paix !  »  

La juge hésitait encore a condamné le  vieux et sympathique bonhomme rouge : 
« Il reste à prouver le troisième chef d’accusation, beaucoup plus grave : la torture ! Bergeronnes  n’est quand même pas Auswitch !

-Permettez-moi de terminer mon interrogatoire madame la juge. Vous verrez. ( Il se tourna vers l’ivrogne du village.) Cette soirée-là fut vécue comme une véritable torture , monsieur l’ivrogne, vous pouvez expliquer pourquoi. 

C’est facile, dit l’homme au yeux rougis, je m’étais assied avec  Santa Claus espérant qu’il  me paye une bière , pis au lieu de cela, il m’a amené jouer au baseball avec les ampoules rouges et la police m’a arrêté! Pas une seule goutte d’alcool n’a pu atteindre ma langue pendant tout l’interrogatoire. 

-Voilà pour la torture madame la juge ! Cet homme est un ivrogne  et il fut privé, que dis-je, il fut empêché d’assouvir sa soif ! La torture  n’a jamais si bien porté son nom ! 

La petite juge sans ailes ne put s’empêcher de penser que le Père-Noël devrait être reconnu coupable solidairement des trois accusations  … Quelle décision difficile, d'autant plus  que  ses momeaux croyaient encore au Père-Noël … Et Santa n’avait même pas d’avocat !  C’est donc peinée qu’elle se tourna vers le gros homme rouge pour lui intimer de s’expliquer 

« D'abord, dit le barbu vêtu de  rouge,  je dois dire que tout cela est vrai.(La foule s’indigna pour la moitié et pleura pour l’autre moitié.)   Toutefois, j’aimerais apporter des précisions. Je dois parfois faire des miracles pour contenter ma clientèle et c’est ce que j’ai fait ce soir-là.

Premièrement, si j’ai provoqué l’accident du petit Castro, c’est parce que je sais que ce jeune homme rêvait de faire un Evel Knievel  à l’envers et je voulais que ce soit spectaculaire .  Troubler la paix est parfois justifié! 

Deuxièmement, si j’ai empêché l’ivrogne de boire, c’est que son épouse le  demandait chaque soir dans ses prières. La torture s’annule !   »

-Il reste tout de même que vous avez fait du vandalisme en jouant au baseball  avec des ampoules qui n’étaient pas votre propriété, semonça la juge malgré sa répugnance à devoir trouver le père-Noël coupable.

-Madame la juge, vous êtes assez expérimentée pour savoir qu’on ne fait pas d’omelette sans casser des œufs! C’est la même chose pour les miracles de Noël ! 

L’avocat de la poursuite tel un trappeur aguerri, bondit de son siège que lui avait prêté Jacques Gagnon, le maire du village, et dans une envolée ampoulée, il s’écria   : « Mais la défense de  l’ignoble gros-gras  Santa Claus  ne tient pas, ce samedi soir  de juillet ce n’était  même pas la fête de Noël, tromperie !!! »

Le gros homme rouge, enleva sa tuque et en sortit un calendrier du garage Jean-Paul Imbeault et le remit au juge : « Pièce à conviction ! » affirma-t-il débonnaire. 

La juge, tout sourire,  claqua du marteau de Paul-Albert sur le pupitre de Ruth et déclara en essuyant une larme  avec le mouchoir de Henrio : «  L’accusé est non-coupable ! »  

Le trappeur de la poursuite vérifia le calendrier et il ne put qu'acquiescer,  son esprit cartésien battu en brèche par un miracle  !

Sur la page du calendrier, le Père-Noël avait judicieusement entouré la date du 25 juillet 1981.

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