Instant de vie chez les Bouchard

Instant de vie chez les Bouchard
Claude Mattheau, 2014

mardi 12 janvier 2016

L'électricité aux Bergeronnes












En 1926 déjà, le moulin à scie de Charles Lapointe fournissait une partie du village en électricité. C'est la première compagnie productrice d'électricité reconnue de Bergeronnes.Le lundi avant midi, le père Charles envoyait de l'électricité aux femmes pour le lavage.  Il faudra attendre les années 40 pour voir Bergeronnes être enfin doté d'un véritable levier de développement dans le ce domaine : la Coopérative d'électricité de Bergeronnes .


Photo : Office provincial de publicité

Un peu d'histoire 
La création de la Coopérative d'électricité du village Bergeronnes s'inscrit dans le vaste mouvement d'électrification du monde rural québécois instauré par le gouvernement de Maurice Duplessis dans les années 1940. Ce dernier voulant réduire au minimum les interventions de l'état dans la gestion de l'électricité opta pour une approche coopérative. Il s'agissait en fait de permettre aux collectivités locales d'organiser elles-mêmes la distribution de l'électricité par l'entremise de coopératives. Celles-ci étaient supervisées par une instance gouvernementale, l'Office de l'électrification rurale, qui pouvait leur fournir une aide financière, juridique et technique. Les coopératives avaient le mandat de construire et d'administrer des lignes électriques. La Coopérative d'électricité du village Bergeronnes a été fondée en mai 1946 avec comme principal mandat de gérer la distribution de l'électricité dans la région de la Côte Nord située entre Tadoussac et Les Escoumins.

Un développement trop coûteux 

Toutefois ce n'est qu'en 1948 que celle-ci commence à fournir de l'électricité .Voici ce qu'en dit la chercheuse Marie-Josée Dorion *.




Prenons le cas de Village Bergeronnes, car il est un excellent exemple d'inadéquation des capitaux en regard des coûts de l'électrification rurale. Fondée en 1946, la coopérative recueille auprès de ses membres les sommes nécessaires à l'obtention d'un prêt de l'OER, qui sera suffisant pour ériger le réseau de distribution ainsi que les installations de transport (ligne et sous-station de 600 kVa). Ces infrastructures ne sont toutefois pas suffisantes pour compléter l'électrification de son territoire; située entre Tadoussac et Les Escoumins, la coopérative n'a pu trouver de producteur (car il n'y en a aucun) en mesure d'assurer son approvisionnement. La coopérative devra donc aussi aménager une usine de génération d' électricité. Les calculs effectués par les comptables de l'Office pour déterminer les capitaux nécessaires à la construction d'une centrale hydroélectrique révèlent un problème majeur: les parts sociales seront tout simplement insuffisantes (il n'y a que 110 membres en 1948) pour couvrir les coûts reliés à la construction d'un tuyau d'amenée, de deux barrages, d'une usine de génération, d'un chemin d'accès et d'un local abritant la salle des commandes.


L'Aquilon , 16-08-54

L'affaire Bergeronnes : cold case  ? 

Journal L'aquilon 16 août 1954

En juin 1952, il sera décidé que l'OER s'occupera de la production  et que le coopérative sera responsable de la distribution. 

La construction d'un complexe fournira (une possibilité jamais atteinte) de l'électricité jusqu'à Saint-Luc de Laval (Forestville nord)  et Ragueneau. On semble alors comprendre qu'il sera impossible pour une petite coopérative d'assumer les coûts  reliés à la production d'électricité, les parts sociales sont insuffisantes!  (les parts valent $100.00) -Beaucoup de ses parts  sont vendues à des membres qui ne seront jamais reliés au réseau.- En 1948, il existe un amendement permettant ce genre de dérogation.


(...)l'amendement apporté en 1948 à la Loi de l'électrification rurale qui permet à l'organisme (NDLR: OER) de produire de l'électricité, avec tout ce que cela implique: acquérir des « pouvoirs hydrauliques », et y construire barrage et centrale, puis, des lignes de transmission, postes de transformation et lignes de distribution (article 12 e)*
Mais au Bergeronnes , l'affaire devient un cas. L'OER au lieu de passer par cet amendement décide de se reférer à un article plus ancien:


(...) l'article 12 a) de la loi originale de l'électrification rurale, qui stipule que l'OER peut «acquérir et posséder tous les biens meubles et immeubles qui peuvent lui être utiles pour ses entreprises. Pourquoi avoir recours à cette partie de la loi? Est-ce une ruse administrative? Un moyen de parvenir à ses fins sans inquiéter le gouvernement, qui ne souhaite peut-être pas faire de l'OER un producteur d'électricité? *

Madame Dorion n'apporte pas de réponse définitive à cet imbroglio, elle tente cependant une hypothèse:


Mais peut-être que la centrale de Village Bergeronnes, avec ses possibilités de développement apparaît-elle une initiative menaçante? Nous n'avons pas de réponse définitive à ce sujet, mais cela nous paraît plausible. Une chose est certaine : l'OER semble travailler fort pour venir en aide à certaines coopératives qui doivent produire leur énergie. 

S'agit-il là d'un cas de débrouillardise du milieu ? En tout cas, le résultat est probant , Bergeronnes est pendant un temps le plus important fournisseur d'électricité de la région Haute-Côte-Nord.  Toutefois, il ne couvre pas la région complète, loin de là, Saint-Paul-du-Nord et une infime partie de Rivière-Portneuf auront accès à quelques HP.  

En 1951 une demande avait été faite auprès de Maurice Duplessis pour changer les règles de financement des coopératives d'électricité. Cette demande ne reçut pas de réponse avant 1952. 

Attendu que certaines coopératives d'électricité trop
éloignées des grandes centrales hydroélectriques sont
obligées de produire elles-mêmes l'énergie électrique
qu'elles distribuent à leurs membres : c'est le cas des
coopératives d'électricité de Bonaventure, de Gaspé-Sud,
du Golfe St-Laurent, de Village Bergeronnes, de Sept-
Îles, de Petit Saguenay et l'Anse St-Jean; Attendu que
ces coopératives doivent faire des dépenses beaucoup
plus considérables que celles qui achètent leur énergie
d'une compagnie; Attendu que leurs sociétaires peuvent
difficilement souscrire plus de cent dollars ($ 100.00) en
parts sociales; Attendu que dans la plupart des cas la
densité de leurs membres dépasse six (6) au mille et que
l'Office ne peut pas, d'après la Loi actuelle, leur avancer
plus de soixante-quinze pour cent (75 %) du coût de
construction de la centrale et des lignes; Attendu qu'il
suffirait de porter ces avances à 85 % pour stabiliser la
situation financière de la plupart des coopératives qui
produisent leur propre énergie électrique; EN
CONSÉQUENCE : il est résolu de demander à l'honorable
Procureur Général [Maurice Duplessis, en l'occurrence)
d'amender la [Loi de l'électrification rurale) en ajoutant
après les mots: • lorsque cette densité est inférieure à
six par mille de réseau " les mots . ou aux coopératives
qui produisent elles-mêmes l'énergie électrique qu'elles
distribuent, [ ... ) .45*
<
(Le Devoir, 4 octobre 1952)


L’Office de l’électrification rurale a obtenu du conseil des ministres de la province l’autorisation de dépenser $120,000 pour la construction d’un barrage et d’une usine génératrice dans le village des Grandes-Bergeronnes, comté de Saguenay, pour l’usage de la Coopé­rative d’électricité de l’endroit.

(Le Devoir, 4 octobre 1952)


Présidée notamment par Alexandre Bouchard, Thaddée Gagnon et Joseph Lavoie, la coopérative sera  achetée en 1964 par Hydro-Québec. Une fois l'achat complété, celle-ci en confia la gestion à une de ses nouvelles filiales soit la Quebec Power Company.











L'ingénieur, décembre  1959.
Possibilité en chevaux-vapeur de la région 






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*MARIE-JOSÉE DORION « LES COOPÉRATIVES ET L'ÉLECTRIFICATION RURALE DU QUÉBEC, 1945-1964 Université du Québec à Trois-Rivières









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