Instant de vie chez les Bouchard

Instant de vie chez les Bouchard
Claude Mattheau, 2014

dimanche 28 décembre 2025

RÉCIT DU NOUVEL AN: Les chemins sont bouchés.

 


Personne ne savait comment c’était arrivé. Mais il vint avec les vacances scolaires de fin d’année de 1966, une folle épidémie de rhume. Une semaine avant que la cloche ne sonne la délivrance des Fêtes, déjà des pupitres se retrouvèrent sans compagnon.

Les autorités qui se résumaient aux deux gardes du dispensaire, et à l’inévitable sœur directrice de l'école primaire, étaient sur le pied de guerre. Les élèves eurent droit à un cours d’hygiène : il fallait désormais se laver les mains le plus souvent possible afin de tuer dans l’œuf les microbes qui avaient semble-t-il acheté leur permis de chasse à l’humain! Tout commençait par un mal de gorge pénible qui vous coupait la voix et stimulait à la hausse les actions de la compagnie Kleenex.

Réunis dans la grande salle du collège qui ma foi était plutôt petite, les élèves de l’école entendirent, vulgarisés par les infirmières, les conseils d’usage suivis de la démonstration de la sœur directrice, Sibé Mol. 

« Vous comprenez mes enfant qu’il sera de bon aloi d’utiliser le papier à main avec parcimonie. Par exemple, regardez, j’ai de grandes mains et je n’utilise qu’une feuille pour les essuyer, alors je m’attends à ce que vous ayez ce même soucis pour l’économie du papier. »  

 De nos jours, on insisterait pour sauver le papier et du même coup les forêts mais en 1966, sauver de l’argent était un argument tout à fait suffisant.

L’hiver avait grugé la clarté du jour à la même vitesse que la grippe avait éclairci les salles de classes.  Trente, le matin, les élèves n’étaient plus que  vingt au début de l’après-midi. On tombait comme des mouches, ce qui en hiver est loin d’être une métaphore. 

 Ce ne serait pas, on le pressentait, un congé comme les autres. Le jeudi 23 décembre, alors que les lumières de l’école locale s’éteignaient pour deux semaines, le microbe continua sa course !

Une réunion extraordinaire entre le curé du village et le bedeau eut lieu au plus haut sommet : le clocher de l’église ! C'était le lieu  le plus rapproché de la Lumière de Dieu. 

 Monsieur le curé,  demanda à son homme de confiance de contribuer à résoudre le problème.

-  Ce microbe n’est tout de même pas arrivé ici par hasard. Il a bien fallu que quelqu’un le transporte ! Vous allez me trouver le coupable, vous monsieur le bedeau, parce que moi, si j’enquête, les gens vont être suspicieux. 

-Je comprends monsieur le curé, vous avez assez de travail à cerner les péchés des pécheresses pour les laver au confessionnal et à rachever de les sécher au sermon  sans avoir en plus à traquer les microbes !

 Le bedeau fit enquête. Il écouta discrètement les dires de tout un chacun.

Sur son rapport remis au curé figuraient plusieurs hypothèses. 

1.Si les religieuses n’accueillaient pas au pensionnat des jeunes filles des villages du nord , que plusieurs ont entendu tousser, on n’en serait pas là !

2. Y’ aussi le laitier qui se rend aux village voisin pour livrer ses marchandises, suffit d’une piasse pas propre et voilà l’épidémie…L’argent n’a pas d’odeur, les microbes non plus.

3. C’est bien beau le hockey , mais quand les étoiles locales attirent les foules, y’a des étrangers parmi nous …et qui dit étrangers dit déplacements ! Un microbe sachant chasser, chasse dans la sueurs, les cris et les embrassades !

4. Et puis, il y a aussi le pain qui est livré de la boulangerie du village voisin 

Le bedeau précisa à la satisfaction de monsieur le curé que les Saintes Espèces qui arrivaient de la Capitale étaient exemptées de microbe puisque bénies par Dieu .



Le curé plia le rapport en quatre et le déposa dans la poche de son grand manteau noir et se rendit porté par la Foi et transporté par sa Buick chez monsieur le maire. C’était une question politique. 

-Vous savez monsieur le maire , Dieu, même s’il gère le monde du visible et de l’invisible ne peut pas faire grand-chose avec les microbes . C’est de votre responsabilité.

 

-Oui, oui, opina de la tête le maire.  Les services d’hygiène tente de contenir la propagation du microbe, la religion console les malades et  la municipalité doit trancher. C'est tout vu!

Le maire se mit à penser tout haut. 

Finalement, le village est un trop ouvert aux autres. Il faut fermer à l’est et à l’ouest. Du coté de Tadoussac on va parquer le camion d’incendie de travers dans le chemin et du coté des Escoumins, on a juste à laisser venter le vent à Bon-Désir et ce ne sera pas long avant que le chemin soit bouché."

 
Le curé en admiration devant autant de sagesse, se signa  et  songea que Dieu avait béni le peuple de son village et avec raison. 

La municipalité serait dorénavant autarcique. Le curé expliqua le mot en chaire, il, vulgarisa du mieux qu’il pouvait. Il vanta  l'aséité du Père éternel et perdit l'attention de l'auditoire qui avait besoin d'une parabole plus simpliste.  C’est sur le perron de l’église que Jos dit le Connaissant trancha en une phrase: « Le village peut se suffire à lui-même : maudite affaire géniale l’autarcie ! »

 

Le gérant de la banque locale, Fidel la Piasse , s’empara de la phrase de Jos dit le Connaissant et en fit un slogan. Il  fit imprimer dans le journal local sous le titre Maudite  Affaire Géniale l’Autarcie   la nouvelle façon de faire pour éviter les microbes.

  Il fallait désormais, que tout ce qui venait de l’extérieur du village fut inspecté, que l’inspection soit au frais du livreur et que ses frais soient partagés pour acheter des remèdes au cas où d’autres microbes nous attaqueraient. C'était clair, net et précis.  L’argent ainsi récolté serait déposé à sa banque puisqu’il avait eu l’idée de ces nouvelles règles.

  Tout changea. Les jeunes du villages jouèrent au hockey entre eux, le pensionnat fut converti en hôtel local, le camping en parc municipal, l’aéroport en piste d’apprentissage de la conduite automobile, le quai devint un observatoire pour regarder les étoiles, et l’église était à nouveau pleine chaque Saint Dimanche pour écouter les sermons du curé que Jos dit le Connaissant traduisait sur le perron en mots plus simples.

 Réunis autour de l'idée qu'il fallait combattre leur malheur microbien, les villageois eurent enfin un but commun. 

Au retour du printemps ,  une fois, le rhume disparu , les chemins et les sinus  débouchés,  le village redevint presque comme avant . Dans leur tête, les villageois restèrent un peu bouchés. 

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