Instant de vie chez les Bouchard

Instant de vie chez les Bouchard
Claude Mattheau, 2014

dimanche 6 février 2022

Jean-Yves, au nom de tous les autres!…

Jean-Yves à une autre époque .
Photo: Pierre Rambaud 

  Jean-Yves est parti. Mon ami Pierre (Rambaud) devrait écrire sur Jean-Yves que je me dis. Je lui envoie un tableau de Hart Benton qui me rappelle Jean-Yves et voilà que le tableau fait effet: Pierre avait déjà un texte, une photo et des idées.


***


Il boitait un peu. Il pédalait beaucoup, printemps, été, automne. L'hiver parfois. Il était là à notre arrivée aux Bergeronnes en 1973. Voisin d'en face et facteur de notre intégration. Sans préjugés. Juste un brin de curiosité à notre égard et le souci de montrer le meilleur de son village.


Pour 25 cennes par jour, il aidait Ti-Louis Gagnon, dit l'ermite, à "jigger" la morue (époque où il y en avait encore "en masse" dans le Saint-Laurent!), à scier au sciotte à bras et "steamer" son bois pour fabriquer des chaloupes à clins et à déterrer de vieilles poteries à la Pointe-Sauvage. Il mentait un peu sur le nombre de kilomètres parcourus sur son bicycle à pédales, trichait au "bluff" (c'est le principe, non?), taquinait la truite au "camp l'Abbé, cordait son bois pour l'hiver et alimentait en clams les "partés de gars" du garage chez Ti-Rock… 


Thomas Hart Benton 

Jean-Yves Gagnon, dit Timothée, a passé sa vie entre la Côte-à-bouleaux, le shack à Ti-Louis, la Point-à-John, le Saint-Laurent et les garages à placotages des Bergeronnes. Pêcher, jaser, faire du bois et de l'humour… à sa façon était l'essentiel de son quotidien. Handicapé? Peut-être. Si peu en fait. Toujours actif jusqu'à son dernier souffle. Il ne fumait pas, ne buvait pas, ou un peu de temps en temps, râlait et bougonnait souvent (après tout c'était un Bergeronnais de souche), mais ne refusait jamais son aide à quiconque avait besoin de lui. Timothée donc nous a quittés brusquement à l'âge de 67 ans. Mais à part de çà? Rien! Ni femme, ni enfant, ni curé, ni député, ni artiste, ni maire, ni échevin, ni écrivain, ni sportif. Pas même bedeau!... Autrement dit, à part sa "boiterie" et quelques rabâchages: un gars ben "ben ordinaire", pour parodier Charlebois…


Alors pourquoi parler de Jean-Yves? Pourquoi rendre un dernier hommage à cet obscur Gagnon, qui n'a jamais quitté son village, plutôt que de faire l'éloge de mon ami Simon Gauthier, conteur célèbre et voyageur céleste? Justement parce que personne n'osera parler de Jean-Yves "dans la gazette". Ni de Julie sa sœur cadette de trois ans qui l'a précédé dans l'au-delà en août dernier après des années de courage. Parce que je prétends avoir été son ami. Parce que Jean-Yves a été un de ces gentils farfadets locaux dont tous les villages ont besoin pour se distinguer de leurs voisins et se forger une personnalité un peu originale. Parce que, je crois utile de souligner de temps à autre l'existence - même si ils ne sont plus là - de toutes ces personnes, des arrière-bans locaux qui, en fait, constituent l'essentiel voire l'indispensable d'une société humaine active et… vivante. Ces personnes de l'ombre souvent oubliées ou négligées dans nos communautés où le paraître est souvent gage de visibilité au moment de… disparaître! Parce qu'il est plus que jamais indispensable d'affirmer que chaque personne a une raison d'être et un rôle à jouer, grand ou petit, utile ou nécessaire, au sein de sa communauté d'appartenance. 


Alors oui, Jean-Yves au nom de tous ces autres qui, dans mon village, nous ont quittés depuis 2020 aussi discrètement qu'ils ont vécus. Je pense à Claude, notre infatigable électricien, qui assumait trois ou quatre contrats en même temps, laissait ses outils chez l'un, coupait des fils chez un autre, branchait une boîte électrique à l'autre bout du village, puis revenait terminer une job, tout en placotant de tout et de la vie. Il parvenait à contenter tout le monde, l'air de rien. Je revois Lucie, l'enseignante tranquille et rassurante, une des rares personnes à lire et me dire qu'elle appréciait mes chroniques "cyclopéennes"... Et Rosaire, toujours sérieux comme un pape, si peu loquace, mais efficace derrière le comptoir de son dépanneur comme au club de l'âge d'or. Et Florian et Françoise et Noël et Huguette et André et Gilbert et Richard et Yvon et Daniel et Pierre et Jeannine et Alfred; autant de personnes qui ont façonné notre communauté… Sans oublier Jeanne d'Arc, dont la discrétion voulait sans doute compenser la volubilité, les "sparages" et l'exubérance de feu "Pruneau" son conjoint! 


Bref, notre village prend de l'âge. Il a payé depuis 2020 un lourd tribut à la grande faucheuse. Mais n'en est-il pas de même dans plusieurs villages de la HCN? Et si il paraît que: "Nous restons vivants tant que quelqu'un pense à nous". Il n'est donc pas inutile d'aller au-delà des condoléances classiques et de perpétuer le souvenir de quelques personnes ordinaires de notre entourage disparues récemment… 


Bon, je te l'avais dit Jean-Yves qu'un jour ton nom paraîtrait dans le journal! J'y avais déjà mis ta photo dans les années 70. Mais j'aurais quand même préféré que ce soit en d'autres circonstances. Salut l'ami!

Pierre Rambaud (Le Cyclope: à chacun ses handicaps!)


6 commentaires:

  1. Merci pour ce beau texte! Votre plume fait du bien , vos mots sont juste et si touchants! Merci de prendre le temps de rendre hommage

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  2. très bien dit sur Jean-Yves. Très beau texte. Salut Timothée yéyé'

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  3. Pierre, ta plume est toujours aussi ''belle''...Tu peux même faire revire les morts...Beau texte.

    Étienne Gagné

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  4. Superbe texte ! Merci pour cet hommage si vrai

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  5. Salut Jean-Yves si tu vois Ti-Louis dit lui que la mer est belle et qu'il fait bon voguer Salut mon ami et bon voyage.

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