Instant de vie chez les Bouchard

Instant de vie chez les Bouchard
Claude Mattheau, 2014

mardi 27 décembre 2016

Le Jour de l'An-delà .

Quand je suis mort , j’ai vécu des choses assez extraordinaires, des choses  que les mots terrestres ne peuvent expliquer.  Comme beaucoup de morts ,  je suis monté vers le ciel , j’ai vu d’abord la rivière  Bergeronnes en son méandre juste avant le pont du Bassin, les feuillus de  la Côte-à-Bouleaux qui venaient de quitter leurs bourgeons ,l'école Bon-Désir,  les buttes vertes , la rue principale déserte et les arbres gris du cimetière. Puis, j’ai tourné la tête pour voir la maison familiale . Elle était toute blanche et lumineuse. Dehors, juste devant les marches de béton , ma mère jouait avec un enfant encapuchonné, je me suis reconnu juste à ma démarche. Mon père stationnait sa camionnette  et montait les escaliers  à la course. Je ne l’avais jamais vu faire cela. Plus je montais, plus je comprenais, le sens de l’éternité.  Ce n’est pas du tout ce qu'on m'avait expliqué. 

J'ai volé en rase motte jusque chez maman et papa

L’éternité après la mort, c’est la faculté  de remonter le temps, notre temps.  Le mien se situe entre le 22 juillet 1946 et le 30 juin 2012 . Voilà ce qu’est mon Éternité. Ce qui sort de l’ordinaire, c’est que je revois  tout avec les yeux de la lucidité.  J’ai fait fouiller mon petit beau-frère  dans le dictionnaire :   «  Faculté de comprendre les choses avec clarté et justesse. »  C’est lui qui écrit présentement.  Ça, c’est un autre pouvoir qu’on détient après la mort, si tu as partagé ta passion avec un mortel , tu peux te servir de ses capacités pour intervenir dans le réel .


Alors, comme j’ai déjà amené Robert à la chasse à l’outarde, à l’ours et à la pêche , il me renvoie l’ascenseur. Il détestait le bois et moi, je détestais parler en public, alors, nous fréquentions l'un et l'autre des mondes dont on avait pas l'habitude...    Par contre,  il aimait bien conduire le camion brun, surtout quand on mettait les lock et que tout devenait possible, comme grimper une butte de terre  ou traverser un chemin inondé par des castors ambitieux.  


Alors voilà, je voyage entre 1946 et 2012. Je n’ai pas le droit d’aller au-delà. Parfois,  en revoyant certains passages de ma vie, je ne suis pas toujours animé par la fierté. C’est normal, au début de la mort  , on a tendance à aller vers nos souffrances , ce sont des actes manqués… Alors qu’on voudrait tant refaire des bouts de notre vie , on ne peut rien y changer. J’ai donc assisté impuissant à une scène  où je me chicanais  avec ma compagne. Et tout de suite après. alors que j’avais encore des larmes chaudes sur mes joues,  mon Éternité m’a entraîné  à l’église de Bergeronnes , juste au moment où  je portais au doigt de ma belle , son anneau !  Toutes ces superpositions temporelles sont bouleversantes. C’est le lot de l’éternité. 


Au début, je ne comprenais pas pourquoi il manquait des gens dans mon éternité. Le dimanche , 13  mai  1972, je suis à la pêche. mon petit beau-frère  est assied à la proue et moi,  je suis le pilote . Au centre le banc est vide. Pourtant , il devrait y avoir quelqu'un  puisque une veste de sauvetage est là, étendue sur le banc, et dans un carton de Pepsi, il y a deux bananes et une bouteille de bière. (Au moment même où j’écris ces lignes pour mon beau-frère, apparaît un message Facebook de Fernand sur le coin droit de mon écran d’ordinateur,
J'ai commencé première année Bantam et à la deuxième je gardais les buts pour le midget aussi, qui n'avait qu'un gardien. -

Je capote un peu,- et je demande à Roger de ne pas trop en faire. )

Mon chum qui est absent sur la chaloupe est lui aussi décédé, nous nous rencontrerons quand nos Éternités nous  amèneront au même endroit. Lui et moi avons toute l’éternité pour nous  revoir !   Si je repense à ce jour de mai 1972, et que je me vois seul sur la chaloupe, je saurai que mon petit beau-frère est  décédé.

Autre chose, il prend souvent aux mortels l’envie de parler aux morts .Pour toutes sortes de raisons : s’excuser, prier, demander de l’aide ou du courage ou juste pour le plaisir . Dans l’immédiat, dans votre réel, ça ne sert à rien. Je vais vous l’expliquer dans mes mots, parce que si je laisse faire mon petit beau-frère , il va philosopher et vous risquez de décrocher ! 



Penser aux morts,  c’est comme filer une maison pour  l’électricité. Tous les fils sont passés ,  les boîtes octogonales et carrées sont là , les fils dépassent dans les trous du gyprok (j’ai jamais su l’écrire)  ,c'est  pareil au sol pour le chauffage, et la boîte électrique  est prête… Quand vous parlez aux morts, c’est la même affaire , ce sont des fils installés  pour plus tard. Au moment de votre décès toutes vos pensées vont alimenter vos souvenirs, c’est pour ça que les premières personnes que j’ai vues,  ce sont mes parents devant la maison chez-nous : tous les trois on a pensé au même "moment"  en même temps. Quand le courant passe,il passe ! C'est sûr, c'est sûr! 

 
En ce qui concerne  mes enfants, il arrive un drôle de phénomène. Quand j’étais vivant, je pouvais lire dans leur cœur, peut-être pas autant que leur mère qui les a portés pendant 9 mois , mais quand même , quand quelque chose n’allait pas et malgré les malentendus inévitables, les conflits générationnels ou les bêtises des uns et des autres, je pouvais comprendre que quelque chose n’allait pas. Là, dans mon Éternité, si je pense très fort à un moment où j’ai senti la tristesse de ma fille , par exemple, je vois le  pourquoi de ses larmes. C’est comme comprendre à la fin d’une bonne série ce qui s’est passé au début ! 



Voilà, c’est à peu près tout ce que j’ai compris depuis que je suis ici, j'ai pas encore 5 ans d'éternité, je suis en train de faire mes classes ;)   L’éternité, mon Éternité, c’est très vivable, et ce  même si je suis mort. Et n’ayez crainte, le jour où toi mon amour, toi, mon fils ou toi, ma fille , serez absent d’un souvenir, je recevrai une décharge (une autre ! ) et j’irai vous accueillir dans  un souvenir commun.

Photo :famille Alphonse Tremblay ( Simon) (cliquez pour pleine grandeur :SUPERBE! )

Prenez votre temps, je ne m'ennuie pas , je suis à la recherche de souvenirs communs avec mon frère décédée trop jeune , mes parents , et beaucoup d'amis...Tous mes jours sur terre , ça en fait du fil, des caps de bière  , des truites, des tours sur le fleuve, des desserts , des cloches d'école, des tempêtes, des tours de ski-doo, des balles , des calls, des cadeaux, des becs, des caresses,  des fêtes, des messes,un coat rouge, des tunes d'Elvis, des orchestres , des mal de dos , des rires saccadés , des documentaires sur les animaux,des films de cow-boys, des tourtières, des lunchs, des cigarettes, des Fax , des téléphones, des voyages sans chier, des rénovations, des pets sauces, des Big-Mac réchauffés,des sommes ... Pas d'ennuyance.    

Merci pour le portable, le  petit beau-frère.(Une autre affaire à découvrir:j'écris en lettres  bleues ? ? )  

Oh! I'm all shook up , Elvis is here ! 

 Bonne Éternité, le beau-frère.

 Bonne année , mon petit beau-frère .


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