Instant de vie chez les Bouchard

Instant de vie chez les Bouchard
Claude Mattheau, 2014

vendredi 23 décembre 2016

Conte de Noël bergeronnais : Dieu ou diable

- À ma fille Coralie qui veut expliquer l'inexplicable.

Je tiens cette histoire véridique de mon père.  


Ils étaient quatre  hommes  assis  à la cafétéria du camp  huit de la Consolited Bathurst au nord de la Chute du Diable. Ce groupe de quatre hommes,  dont mon père faisait partie, avait été choisi pour leur honnêteté afin de veiller sur les campements et les effets d'Euclide Lessard. 


Chaque jobber faisait de même. C’était une façon  de s’assurer  qu’au retour des bûcherons, tout serait en ordre. Les chevaux allaient recevoir l’avoine nécessaire,  les entrées de chaque camp seraient dégagées et les chemins seraient  entretenus autant qu’il était possible de le faire. 


Mon père parla le premier. « Il est arrivé à mon beau-frère une histoire invraisemblable. » 

Le silence se fit, les hommes rabattirent les cartes à jouer qui leur tenaient lieu de loisir et tendirent l’oreille. 


«  Mon beau-frère Maurice était  un sacreur indomptable. Sa mère, Rosa, une femme pieuse qui faisait partie des Dames de Sainte-Anne et qui marrainait les Filles de Marie, et dont la prière avait le poids de ses dévotions, avait eu beau  user  son chapelet, rien n’avait changé.  Un jour Maurice a crevé un pneu, il était en forêt, il faisait froid et son camion était chargé de pitounes . Une situation pour deux gars pis y'était tout seul...


 Incapable de détaroder les bolts de sa roue, il sacrait comme un damné, invoquant des noms que même un curé aurait été surpris d’entendre !    

Photo Coll.Paul-Émile Lambert ,Forestville

Tout à coup, il reçoit une claque en pleine face. Il a beau regarder tout le tour de lui, il ne voit rien, y' est seul comme un nombril sur le ventre d'un bébé.
Après cette affaire-là , Maurice n’a plus jamais sacré. »  


-C’était qui ? Il l’a tu su ? interrogea inquiet le grand Savard.



-Jamais il l'a su.  Sa mère disait que c’était Dieu. Son père, Rosario, disait que c’était le Diable. Il disait ça parce que le diable aimait lutter contre Dieu, mais il n’aimait pas qu’on Lui manque respect.

-Ça se peut pas ! 


- Crée ce que tu veux Lauréat, moi je fais juste rapporter  l’histoire.


- Moi, les jeunesses,  je penserais que c’est vrai, le diable va jamais se présenter comme on pense,  sinon, on le verrait venir. Nazaire, le plus vieux,  venait de parler. 


Maintenant que la conversation avait fait sa place autour du fanal, on savait que les cartes ne serviraient plus à rien pour ce soir-là. Le grand Savard ramassa la brassée et se leva pour ranger le paquet sur la petite tablette à coté de la porte de la cuisine. Il hésita pourtant à faire les trois pas qui le séparaient de sa destination.  Les ombres sur le mur n’avaient cesse de le regarder. La peur s’était invitée dans la place.

Nazaire en profita pour prendre la parole. 


« Vous êtes pas sans savoir que  le curé Labelle avait parti une loterie vers 1884 ? La Loterie de la colonisation, les bénéfices étaient versés à l’oeuvre de colonisation des Pays d’en haut... Le gros-lot était de cinq mille piasses. Une petite fortune dans ces années-là où on pouvait acheter une terre pour 350.00. avec instruments aratoires et  bétail dessus. 


 Ma mère qui était à cette époque  une jeune  veuve de 35 ans , avait acheté un billet  par l’entremise de sa sœur qui restait dans le comté d’Argenteuil. Et ça, même si ma mère savait que l’Église était de contre les jeux de hasard. Mais comme le gros  curé de Saint-Jérôme avait dû se battre pour vendre une loterie qui viendrait l’aider à développer son Nord, et qu’il avait gagné sa bataille, elle se disait que le péché n’était peut-être pas si grave qu’on voulait le laisser croire.


Reste que la mère avait le péché sur la conscience. Pis à mesure que la journée du tirage approchait, sa conscience se faisait de plus en plus lourde. Tellement, qu’elle en dormait plus la nuit. C’était juste un billet, et plein d’autres canayens en avait acheté un itou. Mais ce qui la dérangeait le plus, c’est qu’elle avait peur de gagner .



S'il fallait… C’eut été la honte.  Qu’un colon du Curé Labelle gagne,  c’était acceptable, même pardonnable.  Mais qu’un chrétienne qui habitait à mille  lieux rafle le magot, c’était pour elle, inconcevable. C’était plus que péché…c’tait sacrilège.

Ben bout de ciarge a gagné !  » 


-Comment ça qu’on l’a jamais su ! Toute se sait dans le village, pis maudit…


-Lauréat, t’es donc ben Saint-Thomas. 


-Ben, je ne comprends pas, une riche dans le village, on l’aurait su …On s’en serait aperçu ! Hé! Bergeronnes, c’est grand comme ma gueule.


- Pas si grand que ça, mon Lauréat! de dire Ovila pour l’étriver.


Nazaire reprend .

-La vérité, c’est qu’elle a gagné pis pas. Le Bon Dieu,  ou ben le diable, cherchez donc,  s’en est mêlé! 


Le grand Savard est soufflé. Il comprend plus rien.

-Tabarsac !  Elle a tu  reçu une claque dans la face comme le beau-frère à Vila ? Une claque du diable. 


-C’est plus compliqué que ça, les ptit gars, reprit Nazaire. 


-Tu gagnes ou tu gagnes pas, y’a pas de billet à moitié gagnant !  s’exclama  le Grand Savard un peu désarçonné. 

Laissez-y conter son histoire , c’est lui qui l’a connait. Pis après, on jugera si c’est vraie ou ben si c’est un conte.


Nazaire encouragé par l’intervention d’Ovila, reprit la parole. 


Deux jours avant le tirage, ma mère avait dû se rendre  sur la réserve indienne d’Essipiunnuat, le voyage était dur, mais la mère voulait absolument rencontrer une sage femme pour savoir comment utiliser l’huile de castor après que le bébé soit né.  Il fallait en mettre à grandeur du corps du bébé pour combattre les maladies.  Elle voulait savoir itou, comment faire pousser les femmes.  


En tout cas, toujours est-il  que la mère a rencontré un sage à qui elle a raconté ses mauvais rêves. Ses cauchemars par rapport à la loterie. Elle ne dormait plus depuis qu’elle savait qu’elle pouvait gagner.  C’était contre sa religion. Il fut conclu entre le sorcier montagnais et ma mère que le billet serait remis entre les mains d’un mécréant, un trappeur mi-indien, mi-blanc. Lui, il ne rêverait pas de travers. 


Le billet était gagnant. Ma  mère avait reçu la nouvelle par la mail. Sa sœur  qui avait acheté le billet, lui a envoyé une lettre avec la découpure du journal  Le Nord. Elle avait le bon numéro.   »


-Maudit Saint-Sufruit!  5,000 piasses!  Ta mère est-y retournée chercher son billet … Je sais même pas compter jusque-là, moé ! 5,000 piasses. Lauréat était obnubilé par le montant. 


Le grand Savard et Ovila attendaient la suite, les yeux ben ronds… Nazaire s’est levé, et comme il était le plus vieux, et que son droit d’aînesse, en faisait, le patron des trois autres pendant les Fêtes, il dit :" Demain, faut regarder aux chemins, pis y faut se clairer une descente à la rivière pour aller chercher de l’eau, allons nous coucher. " 


-Tabarsac! s’exclama le grand Savard qui tenait pu sur sa chaise, tu peux pas nous  faire ça ? 


Nazaire jeta  un regard dans le châssis étroit du campe et en guise de réponse, il fit ravaler la flamme au fanal suspendu au-dessus de la table. 


-Demain. Net, fret,  sec.  Demain,  on mettra le conte à terre! lâcha Ovila, le sourire en coin.

Les gars déjà se déplaçaient à la lueur de la lune, vers les beds.
Dormiraient-ils ?

(à suivre)  lire la suite

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