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Simon Dufour, Ph.D. Anthropologie spirituelle, directeur de recherche , Université de Sherbrooke et moi, nouvellement diplômé . 2003 |
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Faculté de théologie, d’éthique et de
philosophie
Université de Sherbrooke
La sanctification au quotidien.
J’ai dit non à Dieu.
par
Robert Bouchard
(98 718 855)
présenté à
M. Simon Dufour
Dans le cadre du cours
THL 750
(Essai de type c)
Forestville
Octobre 2003
Préface
Quand j’ai débuté il y a huit ans, le
parcours en théologie, j’ai été surpris
de l’approche pédagogique décrite alors par Simon Dufour. J’explique, car il me
serait, il me semble, peu usité de présenter cet essai sans y adjoindre ces
quelques considérations issues des rencontres
avec les nombreux maîtres qui se déplaçaient vers Forestville pour
porter la Bonne Nouvelle!
Il était question d’une pédagogie qui se
caractérise par l’engagement total de l’étudiant, par une responsabilisation
sans équivoque de l’apprenant. Une pédagogie presque neuve. Presque, parce que
cette pédagogie qui part des préoccupations des étudiants et qui priorise le
travail coopératif, existe déjà au Québec hors
des murs de l’Université. La réforme scolaire vécue au Québec depuis peu
et l’appropriation que les Européens en ont fait participent de cette mise en
œuvre où alternent judicieusement réflexion et action. Tel est le nouveau
paradigme éducatif proposé par le parcours en anthropologie spirituelle.
- Surprenante
pédagogie que celle qui participe de l’affectif, du cognitif et du soma.
Cœur, tête et corps! L’évaluation créative (v. André Ouellet, Ed. P.UQ.
1983) ne m’était pas étrangère, la pédagogie créative, elle, m’était un
domaine moins connu…Je suis passé comme apprenant du paradigme de
l’enseignement au paradigme de l’apprentissage où plus simplement du
« il enseigne et j’apprends » au « il enseigne, me soutien
et m’oriente dans un apprentissage qui dépasse le cadre de ce qui est
enseigné ».Distance!
- Et le
bilan des apprentissages ? Très souvent, j’ai eu l’aide des enseignants et
de mes pairs pour faire le point sur
mon projet. J’ai lu des livres dits obligatoires et beaucoup
d’autres qui s’intégraient à ma démarche, et cela parce que certaines
lectures avaient un tel écho en moi qu’elles m’appelaient à ajouter une séquence supplémentaire à
ma recherche. J’organisais mes compétences en regard de ce projet et en
mobilisant cœur, corps et tête; mes compétences étaient alors globales et
intégratives puisque je faisais appel à la fois à une diversité de
ressources et à des situations de vie variées. Autrement dit, j’ai lu et
discuté dans un contexte où la parole résonnait dans mon cœur, en plus de
raisonner tout court !
- La Bible
s’est ouverte à moi parce que j’ai construit un projet de vie collé à mes
études. Un questionnement a soutenu toute ma démarche et m’a permis de
faire une lecture plurielle de la Bible. Toutes mes lectures
n’ont en rien diminué mon esprit critique puisqu’elles n’ont pas été
présentées comme la voie unique.
Enfin ce que je retiens de mes
années passées dans ce parcours c’est que je n’ai rien au moment d’entamer cet
essai à restituer qui ne soit singulièrement intégré à ma propre existence. Je
n’oublierai pas comme au lendemain d’une quelconque évaluation, des tonnes de
citations et remarques dont la faible valeur en combustible spirituel n’aurait
jamais entretenu ma lampe! Non seulement , je n’oublierai rien mais je
continuerai d’en vivre.
Merci pour tout!
Introduction
Un jour, je lui ai dit :
« non. »
Le parcours particulier que propose cet essai tient de deux préoccupations majeures :
1. Quels sont les chemins qu’empruntent l’homme pour rencontrer Dieu ?
2. Comment se
manifeste la sanctification au cœur de l’Homme ?
Paul comme Moïse, est une figure qui fait sens pour qui
cherche la route et finit par l’affronter, la trouvant. Ils sont tous deux des
explorateurs qui partent à la rencontre de Dieu, et le paysage changeant devant
leurs yeux et sous leur pas, leur révèle le pays de l’intérieur qui leur
permettra de mourir à leur condition ancienne. Il est à propos de parler de
conversion.
J’emploie des mots tout humains, adaptés à
votre faiblesse. De même que vous avez mis vos membres comme esclave au service
de l’impureté et du désordre qui conduisent à la révolte contre Dieu,
mettez les maintenant comme esclaves au service de la justice. (Romain, 6,19.)
C’est ce pays, le pays
des justes, que je vous invite à découvrir à ma suite. Je ferai chemin avec vous, au grée de mes
connaissances théologiques et selon ce que les manifestations de Dieu dans mon
quotidien m’auront inspirées. Je le ferai comme un coureur de fond qui connaît
et éprouve le parcours. Je pratiquerai un chemin praticable. Et, au-delà du
quotidien banal, des messages aseptisés d’une société en désarroi qui ne sait
plus quoi penser quand on lui parle d’amour, je vous raconterai comment la sagesse
toute simple d’un homme peut le soustraire du Mal et le guider vers le Salut.
On
comprend par là que ce soit souvent en terme de conversion au sens étymologique
du terme, c’est à dire de retournement, de changement d’orientation, que les
Saintes Écritures et toute la Tradition évoquent le salut et définissent ses
conditions.[1]
La route est longue pour
qui cherche Dieu. Voici celle que je vous propose :
1. Je vous dirai ce que Dieu
veut de moi.
2. Je vous expliquerai ma
désobéissance et ses vertus.
3. Je vous parlerai de mes prières et du Konkhê.
4. Je vous révélerai le
Moïse qui m’habite et la peur qui m’assaille.
5. Je vous ferai voir le
pays que je quitte et celui qui m’appelle.
6. Je vous raconterai la mort de mon père et le pourquoi de sa présence au cœur de ma
communion avec Dieu.
7. Je vous ferai connaître
les sagesses de la sanctification.
Mon objectif ultime est
de démontrer qu’il existe une expérience de Dieu qui peut rejoindre l’homme ordinaire dans son
quotidien, laquelle expérience lui conférant alors une perspective renouvelée,
le fait s’ajuster au monde dans lequel il vit.
1.Je vous dirai ce que Dieu veut de moi .
Je n’ai jamais envisagé que Dieu puisse
m’être étranger. J’ai depuis longtemps une vision de Dieu qui tient à la fois
de l’iconographie et des exigences propres à la pratique religieuse. Cette
représentation de Dieu n’est pas précisément une icône, même s’il est évident
que je n’ai pas échappé à l’imagerie populaire, je puis dire qu’il s’agit
plutôt d’une représentation symbolique
dans laquelle se confondent l’être et l’agir dans une obéissance qui
tient de la souplesse et de la densité du bois.
Ainsi je n’ai aucune peine à imaginer que
je puis suivre les traces du Christ et qu’il m’est imparti d’entendre l’appel
de Dieu, ce faisant. Il y a une souplesse certaine dans l’amour de Dieu pour
ses enfants, et sans se contredire on peut aussi affirmer qu’il y a des exigences rigides pour qui veut
être fidèle à Dieu. Pour faire image, supposons que vous utilisiez un marteau,
la force de cet outil réside dans la densité du manche fait de bois, et
pourtant cette caractéristique à elle
seule ne suffirait pas à la tâche. La souplesse du bois permet d’éviter que le manche ne se brise à
chaque coup donné, préservant ainsi au marteau toute son utilité. La relation
avec Dieu n’est pas différente, elle repose sur l’obéissance, c’est à dire
cette faculté que nous, chrétiens, devons cultiver pour laisser poindre en
notre cœur notre mission. Les exigences de Dieu envers Abraham était de cet
ordre.
Le
Seigneur dit à Abraham : « Pars de ton pays, de ta famille et de la
maison de ton père vers le pays que je te ferai voir. » Gen.12 v.1
Dans ma vie, j’ai appris à dire non à Dieu.
J’ai aussi appris que je devais lui dire non pour mieux l’accueillir ensuite.
Mon obéissance a besoin d’un mouvement de recul pour être pleinement effective.
Je ne puis exercer ma souplesse bêtement sans m’être d’abord saisi de mon
existence. C’est pourquoi j’ai, à plusieurs reprises, quitté la route de la
terre promise et entendu le coq chanter trois fois…C’est ainsi que j’ai pu
comprendre à quel point Dieu me voulait près de lui en ses terres avec les
miens.
« Quand Israël était
jeune, je l’ai aimé, et d’Égypte j’ai appelé mon fils (…) Je les menais avec
des attaches humaines, avec des liens d’amour, j’étais pour eux comme pour ceux
qui soulèvent un nourrisson contre leur joue et je lui tendais de quoi se
nourrir. (…) Mon peuple ! ils s’accrochent à leur apostasie : on les
appelle en haut, mais, tous, tant qu’ils sont, ils ne s’élèvent pas. »
Osée 11 V. 1…4…7.
Cette seule prise de conscience est tout un
programme de vie. Elle implique que Dieu m’a voué un amour tel qu’Il respecte
ma liberté d’humain et qu’il continue de m’inviter à adopter sa manière d’agir
et sa façon de voir et implicitement sa façon d’accueillir.
Concrètement c’est un engagement dans ma
famille pour que chacun y ait sa place, son projet de vie; c’est souligner
comment la liberté de chacun, nous est justice et comment elle, nous est
espérance. C’est toute ma pratique
pédagogique que j’appuie sur trois principes clairement énoncés sur un tableau
dans ma classe : le droit de se tromper, le devoir de se centrer sur la
tâche à accomplir et le respect de l’autre dans ses différences.
C’est aussi le simple choix d’afficher
clairement ma confession religieuse en déposant un crucifix sur mon bureau de
travail. C’est affirmer fièrement mes principes et mes valeurs en nommant ma
croyance. C’est aussi prendre le risque d’aller vers l’autre.
Quiconque se compromet pour et à la suite du Christ, se
salira et hébergera en lui des souffrances qui le mèneront sur le chemin de la
trahison. Comme les disciples, j’ai peur car je ne vois pas toujours que Dieu
est là. Discerner cette présence à travers
mes actes quotidiens est une ouverture terrible qui mène à l’abandon de
mes gestes de compassion ordinaires, qui mène à la dérive du « croire aux
autres », à cet abandon dont je ne suis
capable qu’avec l’aide de Dieu. Bref, c’est embrasser la responsabilité
du chrétien de s’ouvrir aux autres et de s’arracher aux tentations de la
facilité. M’investir dans mon existence pour que mes gestes parlent plus fort
que mes paroles, voilà un défi de taille que je tente d’inscrire dans
l’abandon.
« Revêtez l’armure de Dieu pour être en
état de tenir face aux manœuvres du diable. Ce n’est pas à l’homme que nous
sommes affrontés, mais aux Autorités, aux Dominateurs, aux Pouvoirs de ce monde
de ténèbres…Debout donc ! à la taille, la vérité pour ceinturon, avec la
justice pour cuirasse et, comme chaussures aux pieds, l’élan pour annoncer
l’Évangile de la paix. Prenez surtout le bouclier de la foi, il vous permettra
d’éteindre tous les projectiles enflammés du Malin. Recevez enfin le casque du
salut et le glaive de l’Esprit, c’est à dire la Parole de Dieu. » Éphésien 6 v.11-12 (…)
14-17.
Dans ce déluge de mots, Paul est clair
quant à la mission à accomplir, il utilise une métaphore, croyez-vous? Je dis
que non. Il y a dans cette façon d’aborder sa mission une conscience du monde
qui ne doit pas échapper aux Chrétiens d’aujourd’hui; les gens ont mille autres
messages à écouter et peu de temps pour accueillir l’Esprit. Puissions-nous
dans nos gestes quotidiens affirmer encore et encore avec la hardiesse de Paul
le mystère de l’Évangile. S’enhardir et vivre en mission à l’époque des
info-pubs, des réality-show et des bonheurs artificiels qui engourdissent les
cerveaux, c’est faire preuve d’opiniâtreté et prendre le risque de se
disqualifier auprès d’une société de plus en plus cool ! La souplesse seule ne
peut supporter les vertus de l’obéissance.
Voilà donc ce que
Dieu veut de moi. Conscient que mes non ont été et seront la pierre angulaire
de mon obéissance, je ne désespère pas de l’autre. Enfin sous l’éclairage d’une
étude menée par le sociologue Fernand Dumont qui révèle l’existence de racines
encore vives dans le sol religieux du Québec, je sens moins lourde l’armure du
salut.
(…) sans que l’on cesse de
s’inquiéter de l’état du tronc et des branches, le diagnostic doit porter
d’abord sur l’état des racines. (…)
La
recherche d’une identité chrétienne se poursuit mieux au ras du sol. Elle se
dit mal au grand jour; ce qui est peut-être sa meilleure garantie
d’authenticité. [1]
La sanctification au quotidien est, malgré
les nuances relatives à l’image que chacun se fait de Dieu, une mission qui
peut rendre l’homme meilleur pour lui-même et pour les siens.
2. Je vous expliquerai ma désobéissance et
ses vertus
Pendant une grande partie de ma vie, comme beaucoup
d’entre-nous j’imagine, j’ai cru que les saints étaient des êtres de mission.
Qu’ils avaient été chargé par Dieu d’accomplir des actes dont l’essence même
les élevaient bien au-dessus de la mêlée ; et que de ce fait, ils étaient des
êtres à part, choisis, triés, élus. Bref, ils ne semblaient pas avoir de
mérite, si ce n’est celui d’avoir dit :oui .
Quel insensé il est cet homme de croire qu’il peut questionner la notion même de sainteté !
Quelle folie l’habite donc ? Ce sont là des questions tout à fait légitimes. Il
en est ainsi de toutes les questions religieuses , tout néophyte après la
lecture d’un ouvrage religieux vous le confirmera : il faut être fêlé pour
croire que la spiritualité est de discussion aisée. Il ne s’agit pas de régime
d’épargne retraite, il n’est pas question de votre prochain week-end à la
campagne, il ne s’agit pas non plus d’une question qui intéresse la psychologie
populaire , il est ici question de votre vie !
J’entends déjà les questions (je me suis posé les
mêmes) : puis-je vivre en sainteté ? Y’a-t-il en moi un saint qui dort ?
Est-ce que je manque de respect à Dieu, à l’Eglise , aux autres saints …J’ai écrit à dessein
« les autres », parce que d’ores et déjà ,à moins que vous ne soyez
un piètre lecteur , vous comprenez que j’oserai
questionner la sainteté, ma sainteté. Et je vous invite à faire de même.
Vous verrez le chemin sur lequel je vous invite sera parsemé non pas
d’embûches, ni de bonnes intentions comme le veulent les expressions
consacrées, mais plutôt de découvertes empreintes de naïveté.
Moi, un saint ?
Les fidèles doivent
appliquer les forces qu’ils ont reçues selon la mesure du don du Christ, à
obtenir cette perfection, afin qu’(…) accomplissant en tout la volonté du Père,
ils soient avec toute leur âme voués à la Gloire de Dieu et au service du
prochain. Ainsi la sainteté du Peuple de Dieu s’épanouit en fruits abondants,
comme en témoigne avec éclat l’histoire de l’Église par la vie de tant de
saints.
Cc Vatican II
Cité dans le Catéchisme de l’Eglise catholique.[1]
C’est confirmé : il y a en moi , membre de l’Eglise un
saint qui s’ignore. C’est évoqué à plus d’une reprise dans des textes forts
différents , le peuple de Dieu est appelé à la sanctification. Avant la venue
du Christ déjà l’ invitation est lancée
.Dans ses promesses au peuple d’Israël le Seigneur est clair :
« …si vous entendez ma
voix et gardez mon alliance, vous serez ma part personnelle parmi tous les
peuples et vous serez pour moi un royaume de prêtres et une nation sainte
. » Ex. 19, 5 et 6.
Cette nation est choisie parmi les autres nations, l’Eglise
universelle n’est pas encore dans le vocabulaire de l’ A.T. . Mais il faut bien
comprendre à la lumière des textes d’aujourd’hui que cet appel s’adresse au
peuple de Dieu.1 Mais encore faut-il
entendre l’appel. Que cet appel trouve un écho en nous, un écho dont la force
sera telle que nous serons incités à l’action, ne devrait pas nous étonner, ni
nous questionner. Nous devrions accepter d’emblée une telle assertion : si
quelqu’un m’appelle c’est qu’il a besoin de moi, et puisque j’entends son appel
c’est que je suis à portée de voix, je suis accessible. Alors, il vaut mieux
répondre, sinon l’appel se fera de plus en plus insistant jusqu’à devenir
intolérable. Vous reconnaissez quelqu’un
dans votre entourage ? Un enfant, un frère , une sœur ,votre mère
peut-être ou pire encore votre patron ! Vous venez de comprendre : faire
la volonté des gens qui sont à portée de bras n’est pas chose facile, accomplir
la volonté de Dieu , répondre à l’appel de Jésus est une chose encore plus
difficile. Voire impossible. C’est du moins ce que je croyais jusqu’au jour où
j’ai décidé de dire NON !!
J’ai dit non à mon prochain.
Je suis né en 1961 dans une famille pratiquante. Comme la
plupart de mes contemporains j’ai connu l’Eglise triomphante, je l’ai vu être
désertée, jugée dans ses erreurs du passé, décriée dans son intolérance … et
comme j’habitais la campagne, tout cela s’est fait au ralenti. Ce fut une
occasion en or d’observer à l’échelle d’un village, les restes d’une
institution qui ne semblait plus répondre aux préoccupations des fidèles. Mais
je ne sais par quel hasard, j’ai eu la chance de ne pas faire partie du troupeau
infidèle. Tout comme le rapporte le sociologue Fernand Dumont, j’ai pu observer
le déclin de la pratique religieuse de l’intérieur et constater que ce
phénomène une fois chiffré nous renseigne mal « sur les complexes
appartenances, les recherches personnelles, les doutes et les refus »[2].. Et me voilà donc à questionner la foi dans une recherche
personnelle qui à elle seule démontre bien l’insuffisance de l’Église à
témoigner du Christ. Me réfugier dans cette Église, c’est refuser mon prochain,
lequel ignorant l’existence même de mes Espérances chrétiennes ne peut dans une perspective de
sanctification y être soustrait. Témoigner du Christ dans son quotidien c’est
aussi s’éloigner du Temple pour écouter ce que la vie peut nous dire.
Parmi les murmures
inconsistants et sans conviction de l’Eucharistie dominicale, une phrase venait
me secouer : « Seigneur, dites seulement une parole et je serai
guéri » . A elle seule, cette formule
implique le passage de la parole à l’acte dans un contexte d’accueil du
prochain. Elle révèle qui est Jésus , nous indique qu’il ne sera manifestement pas facile de le suivre et qu’il faudra
parfois dire non aux appels du prochain.
Aussi déconcertant que cela puisse paraître, il y a des appels qui sont nettement au-dessus de nos forces. La réponse appartient alors au Christ. Il faut savoir renoncer afin d’affirmer notre foi.
[1] Catéchisme de l’Église
catholique, Montréal, CECC,1992, no.706 : Elles seront bénies toutes les
nations de la terre.
[2] Dumont, Fernand, Une foi
partagée, Bellarmin,1996, page : 273
3.Je
vous donnerai ma prière et les blessures de ma vie
Saint-Augustin exprime dans une métaphore assez juste ce
qu’est l’homme en prière. L’homme est un mendiant de Dieu. Au-delà de
la métaphore, se cache une réalité troublante : si l’homme reçoit la
prière comme un don, c’est qu’il a entendu Dieu qui l’interpelle. Or, avant que
de prier, encore faut-il que l’homme soit entré en communication avec Dieu.
Dans le récit de la Genèse, c’est
d’abord Dieu qui interpelle l’Homme. Pendant le dialogue avec le serpent Ève rapporte les préceptes de Dieu au sujet
du jardin d’Éden, puis quand ces mêmes préceptes auront été violés, Dieu
demande à Adam : Où es-tu ?
Cette question, à elle seule, mériterait
une longue réflexion sur la présence de Dieu à l’homme, sur cette liberté qui
caractérise les actes des humains et dont Dieu se fait témoin. Limitons nous
à y voir l’apparition du « pas de la réflexion » comme
le souligne Theilard de Chardin, c’est-à-dire l’arrivée capitale de l’être
humain, du bien et du mal et des choix qu’ils appellent.
C’est au cœur que s’adresse cette question . C’est une
réponse du cœur que l’homme doit donner à Dieu qui l’interpelle. Pris dans la
tourmente, bousculé par le quotidien ,happé par des valeurs matérielles,
l’homme ne perçoit pas toujours le sens même de cette question. Encore une fois,
l’homme dira :non! Pour devenir mendiant de Dieu ,il faut comprendre
l’humilité à laquelle le récit de la Genèse appelle l’homme. Il s’agit de
l’humilité du dialogue avec Dieu. La Genèse est le germe de maintes alliances
qui naîtront entre l’homme et Dieu , et ces partages , ces communions ne
cessent de se renouveler dans la vie des hommes. En ce sens, l’humilité à
laquelle sont conviée les hommes, est celle d’un dialogue où Dieu est le
Serviteur, à l’écoute prête à nous entendre et où l’homme est aussi le
serviteur, prêt à entendre l’appel de Dieu. Cette réciprocité se mue en une
réconciliation entre l’homme empêtré dans son quotidien et la sanctification
offerte par Dieu.
La prière est un dialogue particulier, car
elle ne s’éveille en notre cœur que lorsque celui-ci s’ouvre à Dieu. On peut
bien prier chaque jour , réciter des tonnes de prières, si le dialogue n’a pas
pris racine au cœur même de l’homme, cette prière restera aride. Une prière qui porte des fruits
devient un dialogue aux branches nombreuses et qui prend l’allure d’une longue
et constante conversation avec Dieu. La prière dans le quotidien de ce monde
n’est pas différente de la longue marche du peuple de Moïse, elle est doute,
elle est joie, elle est peine et elle est confiance. La prière n’est jamais
neutre, elle est empreinte des saisons du cœur.
Quand vous priez, ne rabâchez pas comme des païens; ils
s’imaginent que c’est à force de paroles qu’ils se feront exaucer. Ne leur ressemblez donc pas, car votre Père sait ce dont vous avez besoin,
avant que vous le lui demandiez.( Matthieu 6 .
7 et 8)
Qohélet met aussi en garde les croyants
contre de trop nombreuses paroles (Qo 6).Or, si la prière est une longue marche
vers Dieu, une conversation sans fin, une humble rencontre comment expliquer
qu’elle soit de peu de mots… En fait, la prière doit être attachée au
quotidien, elle doit couler de source comme le pas au coureur entraîné.
Ma mère, à 70 ans, visite les personnes
malades et les invite à prier. Elle ne décline pas nécessairement 58
chapelets…Elle prend acte de la vie des autres et de la sienne , des réalités
qui entravent la marche des croyants et ensuite ,elle choisit de prier. La
prière trouve tout sons sens quand elle est attachée au respir . Le nombre de
mots importe peu quand la prière se fonde sur une réelle conviction d’un
dialogue avec Dieu. La vie est un Psaume où les blessures les plus terribles
comme les joies les plus mémorables trouvent écho dans la prière. Le mendiant
est en quête de Dieu.
La prière comme intimité avec Dieu
Il appert que la prière est d’abord une
expérience intime. La relation de l’homme à Dieu se fonde sur une
méconnaissance du Père céleste. L’homme participant d’abord de la réalité
terrestre, ignore qu’il est appelé à la sanctification ; la béatitude divine
lui est étrangère car Dieu seul peut se révéler à l’homme. Ainsi, chaque homme
doit d’abord être capable d’Éden , c’est-à-dire de reconnaître le paradis perdu
, de revivre pour être exact, cet
instant privilégié et fort révélateur qui fait de l’homme un prospecteur de la
vérité partagé entre l’espoir de la rédemption et le désespoir de
l’Incarnation . Comment ne pas tergiverser devant un tel programme :
l’homme est invité à se reconnaître pécheur et enfant de Dieu, par le fait même
il est invité à une alliance qui le conduira à bon port- cette partie semble si
facile- puis d’alliance en alliance ,
Dieu convie l’humanité à suivre le Christ et à se purifier. Si seulement , il
n’avait pas été fait homme! Quel espoir entretenir pour l’homme à la suite du
Christ ?
L’expérience intime avec Dieu est d’abord
lié à une perte causée par l’ignorance qu’il a de Dieu, puis ne l’abandonnant
pas Dieu se révèle à lui. Cette alliance est l’espoir pour l’homme de guérir
de son ignorance et de retrouver le
paradis perdu. Mais maintes fois, l’homme dira non à Dieu au cours de sa
vie…Pourquoi ? Se libérer de l’ignorance est une chose, suivre le Christ et se
fondre à l’Esprit en est une autre.
Comme Chrétien j’ai découvert que j’avais
dit non à Dieu suite à une déchéance, c’est –à –dire qu’à partir du moment où
j’ai constaté mon manque de foi, j’ai eu honte, je me suis caché. Dieu n’a pas
cessé de m’appeler : Où-es-tu Robert ?, devait-il dire .Je ne répondais
pas, pourtant Dieu m’appelait à faire une nouvelle alliance. Dans ce non donc,
un espoir se profile s’apparentant à une conversation avec Dieu dans le
quotidien, s’instaure alors une prière
partielle qui n’a qu’un pôle, le mien. Puisque l’humilité propre à la prière
est un combat , il faut à l’homme bien du courage pour s’abandonner à Dieu.
Car la chair
, en ses désirs, s’oppose à l’Esprit, et l’Esprit à la
chair ;entre eux c’est l’antagonisme; aussi ne faites vous pas ce que vous
voulez. (Ga 5, 17)
Saint-Paul affirme qu’il faut marcher selon
l’Esprit et vivre selon l’Esprit.
La prière ne trouve sa
résonance en l’homme que le jour où il comprend que Dieu est un Refuge. C’est
du moins ce que j’ai compris. Un jour, je lisais le journal : on y
rapportait l’histoire d’une famille de réfugiés qui sur le point d’être
déportée avait trouvé refuge dans une église. Le journaliste expliquait que
rien n’empêchait du point de vue légal les officiers de l’immigration à
intervenir dans l’enceinte de cette église. C’est alors qu’une image m’est
venue : je voyais clairement Dieu qui agissait à ma place , qui me
supportait dans mon quotidien, qui devenait comme le devienne momentanément les
curés d’une paroisse, un négociateur qui n’a pas de cadre légal à respecter, hormis celui de l’amour.
Voilà ce qu’était l’humilité.
N’attendre rien des forces humaines qui ne fussent par Dieu guidées… Tout un
abandon!!
« (…) faire tomber nos masques et
retourner notre cœur vers le Seigneur qui nous aime afin de nous remettre à Lui
comme une offrande à purifier et à
transformer. [1]
La prière était devenue pour
moi un signe de l’unité que je pouvais être en train de construire avec Dieu.
Une alliance ultime donc qui m’invite à construire à partir de mon quotidien
d’homme , une réponse au désespoir de l’humain de pouvoir un jour ressembler au
Christ, le Dieu incarné. Entre ma condition d’Adam et la mission que Dieu veut
me confier, il y a un fossé gigantesque que la prière peut combler. Il faut
comprendre ici, que la prière est aussi méditation (recherche) et oraison (intimité).
Prier est une façon de sortir
de soi afin de devenir autre. Prier, c’est sortir de mon hétérosexualité pour
devenir homosexuel, c’est changer de race, c’est sortir de ses problèmes, bref,
c’est sortir de sa vie pour apercevoir celle des autres. C’est quitter une
terre pour une autre. C’est , j’y reviens encore une fois, changer de côté
de chemin.
Et cette traversée -qui ne peut
être que bénéfique dans un monde où nous pouvons détecter une faible propension
à l’empathie- inclut, dans le regard différenciateur que je pose sur le monde,
ma propre personne .C’est l’alliance ultime.
Se référant à Jung qui traita du principe de
l’ombre dans Psychology and Religion , Guy Corneau résume en une phrase ce que
l’acceptation intégrale de soi peut faire émerger comme conscience .
« Cette alternative
(à l’autodestruction) passe par la prise de conscience de nos ombres : nous devons réaliser,
qu’à l’instar des bourreaux , nous blessons et mutilons sans cesse , les autres
autant que nous-mêmes. » [2]
Dans Apprivoiser son
ombre , Monbourquette, dans le même ordre d’idée, cite Jacques
Leclecq :
« La perfection c’est moi qui la fabrique pour moi;
la sainteté, c’est Dieu qui me la donne. La perfection est au bout du chemin
que je me suis tracée moi-même pour moi-même; la sainteté , elle , est donnée
pour maintenant, pour tout de suite. La perfection est souvent humiliée (…) la
sainteté ne l’est jamais (…) elle est humble.(Tirée de Vie Chrétienne par
l’auteur, Mars 1983.)[3]
Je m’ en voudrais de ne pas
citer cet étonnant passage de la Première Épître de Jean qui éclaire avec une
acuité circonstancielle ce que
j’essaie d’exprimer par les mots alliance ultime :
« (…)Nous savons
que lorsqu’il paraîtra, nous lui serons
semblables, puisque nous le verrons tel qu’il est. » 1 Jean 3, 2
La
communauté en prière
Un des désirs profonds du
croyant est de réaliser avec Dieu ,une communion. Jean –François Malherbe parle de la
« transfiliation » : « Si la percée de l’être qui se met
au monde au travers de mon être extérieur transforme le monde en signe de
Dieu et me transfilie en Fils de Dieu,
elle transfigure également Dieu lui-même . »[4]
Puis, il cite le
prédicateur Eckhart, dont il souligne
l’audace à maintes reprises.
Si je dois connaître
ainsi Dieu sans intermédiaire, il faut absolument que je devienne lui et qu’il
devienne moi. Je dis davantage : Dieu doit absolument devenir moi, et moi
absolument devenir Dieu (…)
Le processus de divinisation de
l’homme est intimement lié à Dieu et au monde , c’est là que l’homme entre en
communauté avec Dieu, en lisant dans sa vie et dans celle des autres la
présence de Dieu. Maître Éckhart fait du mendiant de Dieu un chercheur
ouvert à la vie et à la communauté :
Il
faut que l’homme devienne un chercheur de Dieu en toutes choses et un trouveur
de Dieu en tout temps et en tous états et avec tous les gens et de
toutes les manières. (Prédication de maître Éckhart ,cité dans Souffrir
Dieu)[5]
Le désir de Dieu est
inséparable de la vie, par extension, de la communauté de vie; la prière ,ce
dialogue constitue l’autre face de ce désir. Communauté et prière sont dans la
recherche de Dieu le moteur et l’essence du désir de Dieu. Augustin, un croyant
africain, écrivait trois siècles après Jésus Christ : « Un désir
qui appelle Dieu est déjà une prière. Si tu veux prier sans cesse, ne
cesse jamais de désirer… » (in Frère Roger, de Taizé, Ateliers et
Presses de Taizé. Site internet : WWW.taize.fr)
Si prière et communauté ont été
et restent pour moi deux faces indissociables du désir de Dieu c’est que cette
réalité découle directement des blessures qui marquent ma vie et ont construit
l’homme que je suis devenu. Car la prière est aussi un écho singulier à ce que
nous sommes devenus au plus profond de nous. La prière est le lien tangible du
coeur profond avec la réalité humaine.
Il est significatif que, précisément dans
la prière et par la prière , l’homme découvre d’une manière on ne peut plus
simple et profonde à la fois , sa véritable personnalité : dans la prière,
le « je » humain saisit
plus facilement la profondeur de sa qualité de personne.[6]
C’est ainsi que j’exprime par
ma prière ce que j’appelle l’alliance ultime, c’est-à-dire la reconnaissance
que Dieu est en moi , faisant partie de l’homme qui se construit. Quand
j’exprime ma foi en me dissociant du chemin à suivre, en refusant de reconnaître
la force attractive et inspirante du buisson ardent de Moïse, bref, en
traversant le chemin, je prends le temps de prier, de revoir l’alliance ultime
qui m’habite, ce n’est qu’ensuite qu'il faut entreprendre la traversée du
désert. En priant, je me dissocie comme le soulignait Henri Guillemin de la
Rédemption-paiement [7]qui
fait appel au sacrifice pour me tourner vers la rémission des péchés , un genre
de reconnaissance de ma condition d’homme, -rappelons-nous qu’un bourreau
potentiel sommeille en chacun de nous -
et un pas engageant vers la métanoïa, cette naissance qui prend racine
dans l’humilité que commande le fait d’être capable d’Éden.
L’alliance
ultime
Comment donc ce désir de Dieu
se traduit en une espérance quotidienne ? Désirer Dieu , c’est dans une
expérience d’alliance ultime se laisser guider par sa façon de voir les hommes
dans leur quotidien, c’est reconnaître l’autre dans ce que nous sommes :
changer de coté de chemin.
Comment raconter cette démarche
? Cette question m’a interpellé longtemps. Je ne trouvais pas de réponses, je
finissais toujours par tout intellectualiser. Puis, m’est venu l’idée que
j’avais étudié en littérature et que pendant mes années universitaires, mes
amis ,pour la plupart étudiants en choses utiles comme l’ingénierie ,l’administration,
l’enseignement… me questionnaient sur le but de mes études. Je n’avais que peu
de réponses à leur offrir car à cette époque ,je ne savais vraiment pas ,
hormis l’amour des Lettres , ce que j’entrevoyais pour l’avenir. Les seules
personnes qui ne m’ont jamais posé de questions au sujet des mes études en
étaient les principaux bailleurs de fonds, mes parents !!! Je crois, à la
lumière de mon vécu, qu’ils avaient confiance en nous (nous étions 7 enfants)
et qu’ils savaient que nous trouverions le chemin qui nous inspirerait. Mon
père et ma mère n’avaient que très peu fréquenté l’école comme la majorité des
enfant de l’entre deux guerres au Québec
et pourtant, ils pouvaient comprendre nos aspirations les plus simples comme
les plus obscures…Ils avaient réalisé que les valeurs transmises aux enfants
dépassent largement en qualité, une quantité de conseils utiles transmis pour
les seuls besoins de la vie quotidienne. Un mode de gestion logique a présidé à
mon éducation : vivre sa vie et pas celle des autres. Mes parents ont su
,comme le dirait un preacher américain : vivre en Christ! Avec 7 enfants
,ils auraient eu parfois raison de l’être ! Sur cette boutade, je vous invite à
lire mon humble prose avec la générosité
même dont mes parents ont fait preuve
pour que j’en découvre toute la richesse, y engouffrant alors la leur.
Traverser le chemin
Si tu as peur du noir et que tu
penses à demain
Si l’Homme te pèse et puis te
perd
Si la route te semble obscure
et la montagne haute
Marche vers l’autre coté du
chemin.
L’œil ouvert, tu verras loin
Tu verras que c’est aujourd’hui demain
Tu verras que tu es l’Homme,
Tu verras s’épanouir en toi la
montagne
Et s’éclairer la route de ton
cœur.
[1] Catéchisme de l’Église
catholique, Montréal,CECC,1992,séquence : 2711
[2] Corneau, Guy, La guérison
du cœur, Éditions de l’Homme,2000,page :260.
[3] Monbourquette, Jean,
Apprivoiser son ombre, Novalis/Bayard, 2001, page : 171.
[4] Malherbe , François,
Souffrir Dieu, Paris, Cerf,1992, Page : 54.
[5] Malherbe, Jean-François, Souffrir Dieu,
Paris, Cerf,1992 ,page : 56
[6] Jean Paul II, Lettre aux
familles, Montréal, Paulines, 1994.
[7] Guillemin, Henri,
Malheureuse Église, Paris, Seuil,1992, page 107.
3.B. Konkhê
La prière est pour moi une manière de
vivre, j’écris cela comme un motocycliste pourrait écrire que sa moto est sa
façon de vivre. Je pourrais presque le paraphraser en parlant de la prière. La
motocyclette est un espace de liberté, une occasion de s’évader, de sortir du
train-train quotidien, de fréquenter de nouvelles routes, de rencontrer de
nouveaux visages, de se lier d’amitié avec d’autres, de s’entraider… La
comparaison est troublante mais elle n’est pas inappropriée pour qui est
conscient que d’intégrer Dieu dans sa vie n’est pas un acte extraordinaire.
Prier doit être une des nombreuses réponses de la vie quotidienne à la vie
chrétienne. L’acte de prier doit se fondre dans la vie du Chrétien, comme manger, boire ou respirer.
Moi, je suis marié, j’aime ma femme et mes enfants, ce n’est pas un acte
extraordinaire, c’est ma vie. Il ne me viendrait pas à l’esprit de raconter ma
vie en omettant de mentionner cet aspect de mon quotidien. De même, il serait
surprenant que je puisse faire abstraction
de cette réalité pour en aborder une autre. C’est pourquoi
j’utilise le mot « conchoïdalité » pour expliquer le sens profond de ma
démarche.
Le Konkhê (grec coquille) est une manière
d’être ouvert à l’humanité tout en y étant soustrait. La conchoïdalité, c’est
la faculté que le priant développe pour entendre Dieu et parler à Dieu tout en
étant en présence du monde; c’est le temps qui fuit, la réalité mouvante saisit
en un instant par le chrétien en prière. J’illustre par un exemple : je
suis en classe avec un élève particulièrement dérangeant, je lui ai servi un
avertissement d’usage, le remède porte effet un instant puis la démarche est à
refaire…J’investis donc ailleurs, pendant un instant je me réfugie en Konkhê ,
et comprenez-moi bien, je n’ai nul besoin de me choisir une position spéciale,
une prière ou des mots usités, je ne fais que se confronter l’intérieur et
l’extérieur et j’ agis pour le mieux…Sans colère aucune, sans me démonter ,
sans perdre mon sang froid , je demande: que veux-tu , ce matin ? Et aussi
étonnant que cela puisse paraître, je n’ai eu aucune réponse dans l’immédiat,
mais le regard seul de l’adolescent qui était devant moi en disait long sur le
respect qu’il sentait dans ma question. Il est même venu me voir après le cours
pour me demander ce que je voulais !! Je ne prétends pas que ce soit une
recette infaillible contre les adversités les plus diverses, ce que je dis tout
simplement c’est que mon regard ayant changé, il m’apparaît que le monde autour
change.
Évidemment, si je parle à Dieu à toute
heure c’est que j’ai eu à lui parler à son heure, ou du moins à celle que je
croyais la sienne. Jeune (on parle ici des années 1965 –1970) ,je priais
par conformisme et obligation, les
religieuses du Bon-Conseil qui dirigeaient l’école primaire réservaient à
l’horaire offices religieux et temps de prière. Je ne m’en suis jamais plaint;
plutôt solitaire à cet âge, je plongeais facilement dans les activités de
groupe. D’autant plus que j’en profitais pour parler à Dieu individuellement;
je remuais les lèvres juste assez pour faire illusion et j’abordais Dieu avec
des sujets plus personnels.
Puis comme la majorité des gens, j’ai prié
Dieu en demandant, en implorant, en me lamentant, en négociant, alouette! [1](V.
à ce sujet Caricatures de la prière,
dans Croire .) Jusqu’au jour où je me suis mis à converser avec Dieu. Ce chemin de
Damas, qui fut celui de la conversation et non celui de la conversion, s’est
profilé lentement dans ma vie : je vivais des épreuves de tout
ordre : collective, revendications syndicales; personnelle, problème de
santé ; familiale, injustice et rancune…Rien d’extraordinaire, le
quotidien ! J’ai prié comme toujours, mais je ne me voyais jamais satisfait de
mes prières, j’avais la nette impression pour pasticher un dicton populaire de
labourer le fleuve, je ne me retrouvais pas dans la prière, j’avais
l’impression de perdre mon temps. Comme si j’avais perdu le tour de prier ,
pour utiliser un archaïsme, je me disais « més que » Dieu
m’écoute ça ira mieux. Je pensais cela par expérience, ce n’était pas un acquis
théorique quelconque, parce que je l’avais expérimenter dans mon enfance, je
savais que Dieu écoutait.
Acte
de foi
La foi se sépare de l’expérience,
intellectuellement parlant. Hors tout concept intellectuel, la foi est une
trace non seulement observable, mais aussi mesurable! Ma foi comme la prière
qu’elle porte ne peut être séparée de l’expérience qui la fonde. En 1969, à 8
ans , j’étais victime d’une maladie qu’on circonscrivait alors sous le vocable
de fissures intestinales. Je vivais à cette époque, avec une certaine amertume,
les conséquences sociales de cet état : insécure à cause des symptômes de
cette maladie, je vivais en retrait de plusieurs activités propres à mon âge.
Je suis devenu solitaire par obligation. Comme je me sentais prisonnier de cet
état, je me suis mis à écrire à Dieu. J’ai conservé ces textes et à la
relecture, je constate que mes demandes étaient assez
simple : « Dieu, aide-moi à guérir. » J’écrivais ces
textes dans mon livre de Première communion. Le soir, au moment d’aller au lit,
je pressais sur mon ventre un exemplaire de l’anale de Sainte-Anne. Ma foi
était absolue.
Je suis persuadé que Dieu m’étais une
présence concrète et en laquelle je reconnaissais un pouvoir certain. C’est le
souvenir le plus lointain que j’aie de mes rencontres avec Dieu .
Aujourd’hui, il m’apparaît que mes
prières nommaient Dieu, il S’appelait
alors : J’ai besoin de toi, je veux vivre, je veux prendre ma place…Or, ce
lien occupait une place importante dans ma vie …Et Dieu, jamais ne me perdait
de vue.
C’est ce souvenir qui a ravivé ma prière
En considérant mon passé, et du coup la
naïveté de mes prières, j’ai compris qu’aujourd’hui, je priais inutilement
puisque je ne laissais pas la prière pénétrer ma vie quotidienne, je priais en
demande, sans donner. Je priais les yeux fermés sur ma vie. Je priais les bras
croisés sur mon cœur. Je priais avec des mots froids dans la cendre de mes
peines et de mes inquiétudes. Je priais pour prier, sans espérer vraiment
sortir d’esclavage. Ma prière ne s’élevait jamais plus haut que la parois de ma
coquille, la seule réponse que j’obtenais était l’écho de mes élucubrations.
Alors que dans ma jeunesse, je n’étais pas perturbé par le murmure marchand et
mensonger des illusions de ce monde dit adulte, je pouvais facilement me
réfugier en ma prière et ensuite la porter en ma vie quotidienne.
La
prière implique en effet, par la concentration qu’elle exige, une « garde
de sens » qui détourne ceux-ci (les hommes) d’un exercice selon la chair.
(…) Elle donne à la langue de parler à Dieu, mais aussi de Dieu et en Dieu avec
Paix, douceur, courage, sagesse; aux oreilles de se rendre attentives aux enseignements divins, non pas
seulement pour les entendre, mais, comme
le dit David, « pour se souvenir des commandements de Dieu et pour les
accomplir (Ps 102,18). [2]
La prière est la clef de la sanctification, puisqu’elle permet à l’homme de s’ouvrir au monde tout en sentant sur lui, la protection que peut apporter le dialogue entamé avec Dieu.
[1] Rey-Mermet, Croire, Paris,
Droguet et Ardant,1977. p.p. 461 et suivantes.
[2] Larchet, Jean-Claude,
Thérapeutique des maladies spirituelles, Paris, Cerf, 2000, page : 379.
4.Le Moïse qui m’habite et la peur qui m’assaille.
En nous, au plus profond de nous, quelque
part en un endroit que la psychologie peut certainement essayer de nommer et de
scruter encore longtemps, il y a la peur. C’est un frein énorme, un poids
auquel nul homme n’échappe. Ce n’est pourtant qu’une affaire de perception.
Cette peur intrinsèque, elle fait partie de l’être au même titre que l’ouïe, la
parole, la vue…Elle est une vertu pour la plupart des hommes qui la confondent
avec la prudence. Mais cette peur est l’antithèse de la lucidité à laquelle l’homme
est appelé à participer. Et si je ne manque pas d’opposer lucidité et peur pour
circonscrire le champ de mon explication, c’est que l’accomplissement de l’être
humain ne peut être pensable que dans une perspective toute relative, chaque
être humain étant lié aux aléas de l’histoire de sa propre révolution. Le
peuple d’Israël sera confronté à la peur
lors de cette grande traversée qui est pourtant une promesse de liberté (Exode)
. Paul sommera les croyants de ne pas
reprendre les chaînes de leur ancien esclavage (Galate 5) . Pour être un Moïse,
il faut savoir servir, se tenir près de celui qui souffre, ne pas abandonner
l’autre dans l’adversité. Mais la liberté n’est pas de pratique facile car elle
est source de risques. Le risque d’être incompris, jugées, abandonnés…
Pourtant à mesure que dans notre vie recule
la liberté, il s’insinue le contraire. Quand, contemporains, nous entendons le
récit de Thomas l’incrédule, nous sourions. À notre manière, nous assumons
alors notre liberté de croire; notre perception face à Dieu est faite de
sourire devant l’attitude des autres. Il est aisé de voir Thomas se réfugier
dans ses peurs, il est même plus facile d’accepter qu’il en soit ainsi, car à
sa suite nous ne voulons pas toujours accueillir ces signes qui nous dépassent.
Quand ma vie suscite des remises en question autour de moi, quand mes paroles
réveillent une volonté ou un jugement endormie, quand tel François d’Assise, je
bouscule l’ordre établi, il importe que je puisse vivre ma liberté pour
continuer de vivre ma mission.
Quand je suis assied à la table des hommes
(Une réunion quelconque sur un sujet quelconque) et que je sais que la vérité
n’est pas présente dans la bouche des hommes, je me tais. Je n’ose pas réclamer
la vérité et pourtant, moi qui suis impliqué dans mon milieu de travail, je
sais pertinemment que quelqu’un ment…J’ai comme Thomas touché la plaie, et
pourtant le courage me manque encore d’annoncer la vérité. Je suis l’homme
prisonnier de la peur. Je n’ose pas car je sais la menace réelle, il y a sur
cette terre des êtres qui ont un mensonge à tenir en laisse et dire devant eux
la vérité équivaut à détacher le chien enragé qui se jettera sur celui qui le
délivrera de son joug. Quel homme est assez fou pour se perdre ainsi ? Le
chrétien.
N’allez pas croire que je vive une paranoïa
latente et que je serai terrassé bientôt ! Non, la peur existe, elle
s’appelle : corporatisme, paternalisme, despotisme, manipulation,
exploitation, abus, etc. . Que je suis petit devant les injustices de ce monde.
Et je le suis plus encore quand cette injustice est présente à ma vie.
La peur que vivaient les premiers martyrs
chrétiens étaient une menace terrible; ce que l’homme d’aujourd’hui craint
semble bien petite chose, est-on enclin à penser. Mais détrompez-vous! La
lucidité d’un petit fonctionnaire, si
elle s’exerce dans le quotidien de sa mission, est l’égale de celle du chrétien
torturé; toutes deux se valident par la conscience et la compréhension du monde
qu’elles appréhendent.
Dans ma toute petite école, je rencontre
l’enseignante qui pleure parce qu’elle se sent menacé par un groupuscule qui
manipule sa classe, j’écoute un collègue qui me raconte comment il s’est senti
trahi par les parents des enfants qui lui sont confiés, j’entends une élève me
dire qu’elle voudrait ne plus assister à
mon cours parce qu’elle est victime d’intimidation, je discute avec un jeune
élève qu’on a laissé tomber parce que
l’administration scolaire n’a pas les ressources financières pour lui assigner
un tuteur, une mère me téléphone pour me demander conseil au sujet de son fils
qui consomme… La liste pourrait à elle seule faire les cinquante pages de cet
essai, mais ce serait inutile, ce ne serait qu’une liste de plus à ajouter à
celles qui déjà témoignent de notre égoïsme et de notre indifférence. J’ai les
larmes aux yeux quand je pense à toutes ses injustices. Je ne suis plus révolté
comme avant, j’ai seulement le goût de demander à Dieu d’avoir une parcelle de
l’amour de Jésus pour accomplir ma petite mission .
Quand
sera décantée la source des scories/de domination/d’ingérence/de haine/sera
épurée la semence des graines/d’erreur/d’abus/de tromperie/
sera
expurgée la parole des accents/d’intolérance/de rejet/de condamnation
Peut-être
saurons-nous Le voir au/fond de chaque être. 1.
Si le cri du poète veut que cesse cette
soumission, c’est que celui-ci vient de loin, du cœur même. Du cœur profond qui
prend en compte le sérieux du fait que
Dieu peut changer notre vie, ainsi en est-il de nos gestes, ils sont le
mouvement d’ouverture intérieure à Dieu. L’antique tradition demeure, et fait
passer l’Homme des cimes de son intellect à la profondeur de son être.
(Rachel Goettmann)
L’amour
prend patience, l’amour rend service,
Il
ne jalouse pas, il ne plastronne pas, il ne s’enfle pas d’orgueil,
Il
ne fait rien de laid, il ne cherche pas son intérêt,
Il
ne s’irrite pas, il n’entretient pas de rancune,
Il
ne se réjouit pas de l’injustice,
Mais,
il trouve sa joie dans la vérité.
Il
excuse tout, il espère tout, il endure tout.
(1
Corinthiens, 13 v. 4-7)
L’éveil de la conscience aux injustices du
monde ne doit pas nous faire renoncer à notre liberté. Et pourtant, c’est le
réflexe premier de l’homme : aliéné, vivant l’opprobre, voyant la parade
de ceux qui voient les habits de
l’empereur, l’homme croit avoir perdu sa liberté, alors qu’en fait, il n’a fait
que constater l’injustice de ce monde. Quand même se tairait-il, perd-il alors dans sa lucidité, la liberté
qui le définit comme homme ? Je ne crois pas.1.
Carlos Mesters explique dans son livre intitulé : La mission du peuple qui souffre que les
opprimés sont libérés par Dieu seul, qu’il existe des semences de résistance
déjà présentes chez le peuple (brésilien).
Ma mission consiste à être Serviteur, comme
Jésus, et d’utiliser tous les moyens que la foi, la raison et la science
mettent à ma disposition pour que ces semences ne meurent pas, mais qu’elles
poussent, fermentent, s’organisent, renversent l’oppression et libère enfin
tous les hommes. [1].
L’homme lucide voit et exerce son action dans
le quotidien. Se taire devant le nombre, c’est être capable de
questionnement : « Comment en est-on arrivé là ? » Jésus
n’aurait pu, même à coup de miracles, changer le cœur des hommes, s’il n’avait
pas transporté dans son sillage cette conscience de l’injustice. Sa seule
présence n’aura pas suffit, il a fallu qu’il fasse signe par son absence.
Le silence est une sagesse puisqu’il est
inutile, confronté à l’injustice des hommes, de foncer tête baissée et de se
démonter, il faut se soustraire à la peur par l’exercice d’une lucidité
quotidienne. Et c’est devant ce gâchis, juste en face, de l’autre côté du
chemin, que l’homme éclairé construira le Royaume . Cette cabane de vrai
bois vaudra bien des châteaux scintillants vacillant sous le poids des
mensonges!
Je
suis Thomas comme le dit en plaisantant ma mère, puisque même si je répète
depuis dix ans maintenant le même refrain, et que j’ai compris qu’il me fallait
construire le Royaume autrement, je succombe à la tentation de voir plus clair dans
l’immédiat…
Et alors, il me vient l’idée désastreuse de demander à toucher les
plaies. Comme si ce n’était pas assez évident !!!
En
exil, l’homme doit entendre le prophète pour sortir de la PEUR, pour relever la
tête et voir au loin : de l’autre côté du chemin, le bonheur qui
l’appelle.
Et tous les arbres
des champs sauront que c’est moi, Yavhé, qui humilie l’arbre élevé et qui élève
l’arbre humilié, qui fais sécher l’arbre vert et reverdir l’arbre sec. Ez. 17 V.24
Seigneur,
donne-moi de Moïse, ce cœur nouveau.
1. Anctil ,
Michelle, La peur de Dieu, Les Éditions
Le Dauphin Blancs , Québec, 1993, page :9.
[1] Mesters, Carlos, La
mission du peuple qui souffre, Paris, Cerf, 1986, page : 123.
5. Je vous ferai voir le pays que je quitte
et celui qui m’appelle.
Il me semble y avoir dans Ézéchiel un
passage très net de la peur à l’Esprit. La gouverne de l’homme passe de cette
crainte de Dieu qui affecte tout le début des textes du prophète à une
espérance construite sur la transmission de vertus propres à une compréhension
plus ouvertes des lois du Seigneur.
Et
je vous donnerai un cœur nouveau, je mettrai en vous un esprit nouveau,
j’ôterai de votre chair le cœur de pierre et je vous donnerai un cœur de chair.
Je mettrai mon esprit en vous et je ferai que vous
marchiez, selon mes lois et que vous observiez et suiviez mes coutumes. Ez. 36
v. 26 et 27.
Ce passage du respect pur et simple de la
loi à une vision de l’esprit beaucoup plus engageante pour l’homme est un
prélude au Christianisme.
Je peux relier cette prise de conscience du
prêtre de Jérusalem à ma propre expérience de rencontre avec Dieu. Elle est en
effet, le fruit d’une désorganisation majeure du regard de l’homme vers Dieu.
Ezechiel décrit cette période d’isolement, de déportation à Babylone comme une
perte.
Je
vous ferai sortir de la ville et je vous livrerai aux mains des étrangers, et
j’exercerai sur vous mes jugements.
Ez. 10 v. 26
La perte est double mais on verra qu’une
seule importe. Effectivement, le peuple perd sa terre et on attente à sa vie,
voilà pour le monde physique. Dieu en portant sur l’homme un jugement, lui
retire sa confiance. Il traite le peuple comme une prostituée. Il lui dit que
sa conduite lui fera honte et qu’il pourra dans une alliance éternelle, se
souvenir de ce passé peu glorieux.
Moi-même, je crois que je portais un regard
tout à fait biaisé sur ce qui me semblait être la spiritualité. Je voyais dans
la loi, une fin en soi. Je m’étais accroché à Jérusalem , la ville, au lieu d’y
voir l’épouse. En d’autres mots, j’ai considéré la loi et y ai négligé
l’esprit.
À quel moment, ai-je découvert une telle
impasse dans ma vie ? Au même moment que le peuple de Dieu : au jour du
désert, quand j’ai cru avoir perdu ce
que jugeais essentiel.
Je maudissais ce jour, comme le peuple de
Moïse maudissait sa marche au désert. Le peuple voulait rompre avec la liberté
pour reprendre son esclavage.
(…)
Ah! si nous étions mort de la main du seigneur au pays d’Égypte, quand nous
étions assis près du chaudron de viande, quand nous mangions du pain à satiété
! Exode 16 v. 3
Mais c’est aussi ce jour-là que la lumière
s’est fait plus intense. Cette rupture est un choc que j’ai ressenti avec
d’autres mots devant une autre réalité, mais c’est la même énergie
émotionnelle.
En
1982, un an après le décès de mon père, je me souviens avoir ressenti un vide
terrible. J’ai vécu ce deuil en après-coup. Un an auparavant, je n’avais pas
réalisé toute l’ampleur de ce départ. C’est le soir de Noël, un an plus tard,
que j’ai constaté ce vide. Je me souviens avoir pleuré sans aucune pudeur
devant tout le monde, d’avoir trouvé refuge avec mon frère Jean dans la salle
de bain. Il m’a parlé, c’était des paroles de consolations dont je ne me
souviens pas. J’ai retenu l’intention sans plus. Cet événement, m’avait
réveillé à une perte terrible. Celle de mon père ? Pas du tout, celle de mon
enfance, de mon adolescence, de mon jeune âge adulte. Je constatais à quel
point ce passé était plein de souvenances, certaines parties idéalisées,
d’autres cauchemardisées. Allais-je passer à autre chose ? C’est ce que je
croyais. Enterrer le passé, voir la vie autrement, etc. Les librairies et la
bouches de nos proches sont remplies à ras bord de ces conneries. Au temps de
Moïse, les peuples sémites aurait pu consulter un de ces gourous afin de
concilier leur regret de la
nourriture du passé et leur soif
de liberté pour demain !
Je me suis senti pendant un temps
désorienté, j’avais l’impression de ne pas avoir fait assez. J’avais un bagage
de blessures qu’avivaient paradoxalement des joies, elles aussi issue du passé.
Je vivais sur une terre qui n’existait plus.
J’ai eu besoin moi aussi, d’une nouvelle
alliance. Je la cherchais cependant au mauvais endroit.
Nos
os sont desséchés,, notre espérance est détruite, c’en est fait de nous.
(…) Et je mettrai mon esprit en vous, et vous vivrez, et
je vous installerai sur votre sol…
Ez.
36 v. 11 (…) 13.
Depuis j’ai continué ma recherche, en
évacuant le passé pour ce qu’il était et en le considérant plutôt pour les
fruits dont il est porteur au présent même de ma vie. Et ce que je puis
affirmer au terme de cette longue marche, c’est que le souvenir de cette perte
m’est plus doux, bien que je considère normal de pleurer mon père, de le rire,
de le célébrer, en vivant sur ma propre terre.
Boris Cyrulnik parle dans Merveilleux
malheurs, d’un effet de résilience. Un collègue qui a vécu épreuve sur
épreuve, me confiait être sorti grandi de son passage au désert, tout en
spécifiant qu’il avait construit sur son malheur. Tout cela dans la foi et
grâce à des valeurs chrétiennes qu’il avait hérité de ses parents. Que nous en
parlions ouvertement fut un pas de plus dans notre liberté de choisir entre
l’esclavage et le cœur nouveau.
Ils
oublieront leur honte et toutes les infidélités qu’ils ont commises envers moi,
quand ils habitaient dans leur pays en sécurité, sans que personne ne les
inquiète. Ez. 29 v. 36
Ainsi vit-on dans l’ignorance de l’esprit.
Fidèle à la loi. Fréquentant la terre sans en connaître toute la profondeur.
Telle était ma perte.
À
la vue des foules il en eut pitié, car ces gens étaient las et prostrés comme
des brebis qui n’ont pas de berger. Alors il dit à ses disciples :
« La moisson est abondante, mais les ouvriers peu nombreux; priez donc le maître de la moisson
d’envoyer des ouvriers à sa moisson. » Matthieu 10 v. 36
Puisse Dieu me conduire en terre fertile.
6.La
mort comme fondatrice de la communion avec Dieu
Des cris qu’on lance vers Dieu, les plus
arides et les plus désespérés sont ceux qui suivent la mort d’une personne
aimée. Je dis que ces cris sont arides parce qu’ils privent momentanément
l’homme de sa lucidité baptismale. Alors que le chrétien a été introduit à Dieu
(vitae spiritualis ianua) par le sacrement du baptême , il gomme toute la
signification de ce rituel en refusant l’espérance de la résurrection. C’est un
non catégorique face à ce qui pourtant est l’évidence même de la condition
humaine. L’homme n’accepte pas facilement la mort. Même si la plongée dans
l’eau du baptême «(…) symbolise
l’ensevelissement du catéchumène dans la mort du Christ d’où il sort par la
résurrection avec Lui » [1],
nous devons reconnaître que devant cette fatalité, il est , pour l’homme , même
chrétien, presque impossible de se soustraire à la révolte, elle est un passage
obligé. Au sens étymologique, Albert Camus définit la révolte comme une volte-face :
« …le révolté , au sens étymologique, fait volte-face. Il marchait sous le
fouet du maître . Le voilà qui fait face. »[2]
( L’homme révolté. Page :
424. Gallimard 1951 )
Si j’en appelle à Camus, c’est que cet
homme a ressenti avec douleur et désarroi toute l’absurdité de la condition
humaine. Et si la volte-face dont il est question ici nous rappelle Job et la
souffrance injuste de l’humain, c’est que la réponse de Dieu est pour le
Chrétien inéluctable. L’indifférence de Dieu que dénonce le philosophe français
s’apparente au non du Chrétien, au désespoir et à la révolte de Job.
Enfin, Job ouvrit la bouche et maudit son jour. Job prit la parole et
dit : Périsse le jour où j’allais être enfanté et la nuit qui a dit :
«
Un homme a été conçu! » Ce jour-là, qu’il devienne ténèbres, que là-haut ,
Dieu ne le convoque pas, que ne resplendisse sur lui nulle clarté; que le
revendiquent la ténèbre et l’ombre de mort , que sur lui demeure une nuée, que
le terrifient les éclipses! Job 3, V. 1
à 5.
Ce désespoir est un appel à Dieu. Ce non
catégorique à la vie est un appel à la Vie. En ce sens, le baptême est un appel
à la vie nouvelle et une invitation à lire la sanctification qu’il porte.
« Amen,
amen je te le dis, à moins de naître à nouveau , dit Jésus à Nicodème dans l’Évangile de l’ Apôtre au secret divin,
nul ne peut voir le Royaume de Dieu. (…) Job, qui n’a rien entendu de ces paroles , les connaît
soudain et les comprend; elles relèvent d’une loi ontologique qui ne se
révèle qu’au cœur;au cœur , centre de
toute mutation , chez celui qui accepte de mourir à tout ce qui était, sans
même savoir ce qui sera, ni même s’il y aura… » [3]
Être sanctifié au quotidien tient du
parcours de Job. C’est en soi, cette morale qui lui est propre, une route
jonchée de questions. Dont la réponse serait ultimement une forme d’abandon.
[1] Catéchisme de l’Église
Catholique, Montréal ,CECC,1992, séquence : 1214.
[2] Camus, Albert, L’homme
révolté, Paris Gallimard, 1951,Page :424.
[3] Souzenelle (de), Annick,
Job sur le chemin de la lumière, Paris, Albin Michel, 1999, page : 65.
6.B. La dernière nuit.
Jésus sur la croix , à
l’heure de mourir , est abandonné du Père. Il est seul devant la mort. Qu’Il
eut dans un passé récent affronté l’injustice, les tentations, les
conflits…rien de cela n’est retenue pour
un quelconque soulagement; le Christ doit rester fidèle à sa mission
bien qu’abandonné dans sa solitude.
« Père entre tes mains, je remets mon
esprit. » (Lc 23,46)
J’ai vécu cette solitude profonde du fils
face au père dans une situation tout à fait inverse. Mon père était à l’article
de la mort et moi, vivant, je n’y pouvais rien, j’étais celui qui se sentait
abandonné. Pire encore, j’avais la nette impression qu’étant abandonné ,j’étais
condamné à abandonner à la mort celui qui m’avait donné la vie. On parle
d’impuissance face à la mort, je
parlerai ici, d’impuissance face aux forces de la vie.
Au lendemain de cette singulière étape,
j’ai écrit un texte qui traduit toute la douleur qui m’habitait alors.
« Il me reste de
mon père quelques nuits blanches qui s’étirent. Une sorte de long exil que
j’habite pour mieux le connaître. Dans ma tête, mon père n’en finit plus
d’agoniser; sa longue silhouette m’asticote et m’épuise.
Mon père est mort et je le cherche
toujours. Je creuse les espaces vides pour le retrouver. J’affame ma vie d’,une
peine insoluble, d’une peine qui me fera crever à mon tour.
J’ai un vide dans la tête qui m’empêche de
dormir. Et je revois, Ovila, ta face blême de grand malade qui dans une douleur
muette m’exprime plus que le néant.
L’hôpital de Chicoutimi, arrondi dans son
lit de pierres, lové dans toute sa froideur me regarde arriver et te regarde
partir. Papa, je te tire sur mes nuits parce que je n’ai pas su déjouer
l’impudeur des regards qui cette nuit-là, m’ont empêché de te dire que
j’aimais ton existence. Je me suis
retenu, mes lèvres sont restées closes. Je t’ai vu mourir dans ma constipation , les tripes
figées, le regard vidé et sans tremblement aucun. J’ai vu le feu s’éteindre, le
volcan mourir et je n’ai pas crié, je suis resté muet. Pas même une larme.
Tu n’étais pas mort sur cette civière en stainless froid.
Tu me voyais et moi, j’étais pétrifié. J’étais déjà entré dans la souvenance et
je ne croyais plus. Je me suis vu, tas de sable qu’on égrène , me répandre sur
le terrazo .
J’ai senti ton dernier souffle et depuis je
suis si dispersé. Si perdu. Si seul.
Le médecin s’est tourné vers moi et il a
dit : « Il est mort. »
Pas « votre père
est mort » : il! Seulement, il! J’ai eu honte! Si j’avais eu le doigt
sur la gâchette, je serais mort à mon tour. J’aurais eu envie de crier, de dire
à ce médecin : « C’est mon père! Vous ne voyez pas que c’est mon
père. » Il ne pouvait savoir, je n’avais pas poser les gestes qu’il
fallait. Il n’avait pas vu que je perdais mon père . M’a-t-il trouvé insensible
, si insensible que ce cadavre, évidemment, ne pouvait être mon père…
Il est mort.
A l’hôpital de Chicoutimi, aux soins
intensifs, des bribes de ma honte sont restées accrochées aux rideaux. Des
images presque insoutenables me hantent. Toujours la nuit. Mon père est arrivé
pour mourir au milieu de la nuit et je n’ai pas su laisser entrer la lumière.
J’étais son dernier espoir de chaleur et j’ai laissé ça à une infirmière
anonyme.
Je ne peux même pas raconter cette nuit-là.
Je ne sais pas où elle débute, ni où elle se termine. Les actes de cette
nuitée, je les ai assimilés à un déplacement, à une mosaïque que ma respiration
fait se raconter perpétuellement. Je suis le prisonnier de ces images.
Je sais pertinemment, papa, que d’autres
que moi se chargeront d’étaler ton passé simple : il est né là, il a
travaillé ici, il a habité là-bas, il a aimé ça, il aimait rire, jouer,
argumenter…d’autres verbes encore ,disposés en brochette , des morceaux de vie
qui n’ont plus rien à dire.
Mais sache qu’il ne
m’est pas inconnu, cet espace où je pourrai retrouver la paix. Sache papa
Ovila, que je ne laisserai pas ces images raconter à elles seules , notre
relation.
Mon corps
comme mon cœur laisse passer l’air, la lumière et l’eau comme s’il
s’agissait des salutations usées que s’échangent des membres d’une même
famille. Cette nuit-là à l’hôpital de Chicoutimi aux soins intensifs, j’ai été
plus discrets que la mort, comme si devant l’évidence de ton départ, j’aurais
voulu que tu ne goûtes plus à la vie, que tu oublies à jamais que derrière tes
pas, une tribu continuerait à marquer le temps et l’espace, hors ta présence.
Je n’ai pas été indifférent. J’ai refusé de
couper les liens, et là je cherche le fil qui m’entraînera à ta suite dans le
vide. Cette nuit d’octobre 1981 , je t’ai laissé partir sans filet.
Je ne puis me souvenir avec certitude du
moment où j’ai décidé de ton existence dans ma vie, mais je me souviens que
cette nuit-là, j’ai décidé , bien malgré moi, de ne pas te perdre.
J’espère te revoir, papa, pour te dire à Dieu! »
Il ne m’est jamais venu à l’idée que mon
père était mort pour toujours. C’est pour moi l’évidence de ma foi. Je sais que
le Christ est mort sur la croix et qu’il sera ressuscité. Cette expérience de
la mort, m’a démontré la profondeur de ma foi. Les racines mêmes de mon
existence sont liées à cette certitude que je ne puis même pas
questionner…Voilà ce que j’appelle être impuissant face aux forces de la vie.
C’est sur cette expérience de la mort que j’ai
fondé ma présence à Dieu. Il m’apparaît fondamental que je ne puis être en
prière sans que mon propre père en soit partie prenante.
« Si quelqu’un garde ma parole, il ne fera jamais
l’expérience de la mort » (Jean 8, 52)
Il y a dans la prière, un prise de contact
intime avec le Dieu d’Abraham, de Jésus, et certes de mon père de la terre. La
prière n’est pas à sens unique, elle est la rencontre de l’Homme avec Dieu et
de Dieu avec l’Homme.
La prière que nous le sachions ou non, est la
rencontre de la soif de dieu et de la nôtre. Dieu a soif que nous ayons soif de
lui. [1]
(CECC 2560.)
La rencontre de Moïse avec Dieu est un
épisode tout à fait révélateur du chemin que peut nous aider à prendre la
prière.
« Le seigneur parlait à Moïse,
face à face, comme on se parle d’homme à homme. » ( Exode 33, 11)
Et voilà que Moïse lui demande le chemin à
prendre. Jésus le fera à sa suite.
« Père, si tu veux écarter de moi
cette coupe…Pourtant, que ce ne soit pas ma volonté mais la tienne qui se
réalise! »
(Luc, 22, 42)
Dans cette recherche du chemin, il y a de
longues heures de prières, des rencontres répétées avec Dieu pour mieux saisir
l’importance des choix à faire, la pertinence des gestes à poser, l’accueil de
cette réalité qui échappe à mon entendement. Combien de fois ai-je traversé la
route pour en contempler l’autre versant, juste pour imaginer l’air que j’ai,
marchant selon ce que je crois être les préceptes de Dieu ? Combien de fois
ai-je constaté avec surprise que Dieu avait entendu ma prière ? Combien de fois
ai-je eu peur d’être abandonné ? J’ai n’ai pas de statistiques à étaler me
concernant, mais je n’ai qu’à lire la Bible pour me rendre compte du doute qui
plane sur l’existence entière de l’humanité. Et je ne puis que rendre grâce à
Dieu que cette constante prière ne se soit pas tue avec mon père, et qu’il me
soit donné de me retrouver à la croisée des chemins cherchant le divin dans les
gestes du quotidien.
[1] Catéchisme de l’Église Catholique, Montréal,
CECC ,1992, séquence : 2560
7. Les sagesses de la sanctification
A.
N’entre jamais tout seul dans le monde de la Bible. Tu t’y
perdrais et n’y trouverais rien du tout. Aie toujours en toi la mémoire des
souffrances du peuple auquel tu appartiens.
Père Alfredinho- Fredy Kunz cité dans La
mission du peuple qui souffre de Carlos Mesters, Cerf, 1984
Il en est de même pour qui veut connaître
la sanctification, ce n’est pas une route à fréquenter en solitaire. Nul homme
ne peut se sauver lui-même. Il faut être clair là-dessus, surtout à notre
époque où tout se mercantilise. « Aimez-vous les uns, les
autres. », n’est pas un slogan qui invite les Hommes à se magasiner une
réponse ! La quête de sens a pris des proportions effarantes ces dix dernières
années et laisse le chercheur devant un principe d’offre et de demande qui
s’assimile plus à la boulimie spirituelle qu’à une véritable recherche qui
permettrait d’intégrer non pas des réponses toutes faites, mais de véritables
découvertes issues d’un itinéraire où l’homme de la réflexion et l’homme de
l’agir se rencontreraient.
Roger Ébacher parle de la rencontre de deux
sagesse :
Certes,
accueillir gratuitement le salut au lieu de prétendre se sauver soi-même
par la connaissance ou par l’ascèse, ce n’est pas glorieux! Notre pauvre
orgueil en mange un coup ! [1]
L’expérience religieuse supporte mal une
transmission intellectuelle, elle a besoin d’être traduite en agir, ce qui a
pour effet d’accroître sa présence et de perpétuer la responsabilité du
chrétien. L’important est d’exprimer dans le quotidien l’aspect cognitif de la
sanctification, moins par le langage que par une activité intégrée à sa vie. Un
discours tenue par la vie elle-même finit toujours par trouver écho auprès de
Dieu.
1.Ce que Dieu veut de moi :dans un agir responsable,
j’accueille le salut comme un don. Telle est ma mission. |
B.
L’homme de la loi est attaché au devoir et
au droit; il aime les définitions claires, les frontières bien délimitées; il a
besoin de garde-fous, de savoir ce qui est permis et ce qui est défendu.(…)
L’homme de la foi frappe par sa liberté; les règlements et les calculs ne
l’intéressent pas; il aime la recherche, les expériences et le risque.
Alain
Patin, Dieu ,personne ne
l’a jamais vu , Novalis, 1985, p.p. : 128 et 129
Une de mes prétentions est que tout être
humain peut décider de changer de coté de chemin, s’il est néfaste à sa marche
de circuler à droite, il peut aller à gauche.
Moïse s’est éloigné du trône égyptien suite
à un meurtre. Il se savait menacé, lui et son peuple, et ne voyait pas de
solution sur cette route. Sa fuite est un exil pour l’homme mais, une recherche
pour l’âme.
Dans un passage obligé, Moïse se départit
de sa terre d’adoption, il retrouve sa légèreté et son âme. Pour rompre avec
les ornière qui nous servent de route, sous l’orage, il faut marcher de travers
et reprendre son chemin sous un angle différent, sous une lumière nouvelle.
Le chemin de la liberté est à ce prix, il
faut fuir ses sécurités, abandonner ses certitudes.
« L’Égypte manquait-elle de tombeaux que tu nous
aies emmenés mourir au désert ? (…) Mieux vaut pour nous servir les Égyptiens
que de mourir au désert. » Exode 14 v. 11-12
Se laisser conduire par Dieu génère de
l’angoisse. L’esclavage paraît même rassurant, alors.
(…)
Il me mène. (…) il me ranime. (…) Il me conduit par les bons sentiers (…)
Je
ne crains aucun mal, car tu es avec moi. Psaume 23
La confiance n’exclut pas le mal ni la
peur, ni l’angoisse. Elle les fait plus tolérables, plus signifiants; les
paysages sur les chemins de la liberté apparaissent dans toutes leur vérité. Le
chrétien discerne avec une lucidité étonnante le chemin à parcourir.
Quittez la route, changez d’angle de
vision, voyez le monde autrement. Ne vous enlisez pas dans le faux et le
clinquant. Restez plutôt sur place. Dieu vous trouvera.
2.Je vous expliquerai mes désobéissances et ses
vertus : je ne me laisse pas enfermer dans une révélation, je marche en
avant mû par l’espoir. |
C.
Elles (les comédies) ne sont faites que pour être jouées; et je ne
conseille de lire celle-ci qu’aux personnes qui ont les yeux pour découvrir
dans la lecture tout le jeu du théâtre.
Molière, L’amour médecin , œuvres complètes, tome 2, Hachette.
page :95
Les prières sont-elles faites pour être dites ?
Doivent-elles être des récitations ?
Quand Jésus confie à ses disciples une prière qui
s’adresse au Père, il dit : « Notre Père » et fait suivre des
demandes, y’a-t-il là une invitation à demander plus ou à demander autrement ?
Si l’imagerie populaire liée à la prière lui donne du
relief, c’est que la prière ne peut être disponible qu’à celui ou celle qui
voit plus loin que le texte ou les paroles.
(…) pour toi quand tu pries, retire toi dans
ta chambre, et ferme sur toi la porte, et prie ton père qui est là dans le
secret; et ton Père, qui voit dans le secret, te le rendra.
Mathieu 6 v. 6
La prière est un acte responsable, un engagement dans un
dialogue où s’insinue, à la mesure du priant, toute l’humanité dont il est
capable. Qui en son for intérieur ne demande la santé, la prospérité, l’amour,
l’intelligence…Nous sommes humains et espérons le meilleur de ce monde. Mais
voilà, notre prière n’est pas reçue en ce sens, elle est accueillie comme un
désir du Royaume de Dieu, comme un appel à recevoir la lumière sur cette route
sinueuse et parfois obscure qui mène au salut.
Le malade est-il le seul à éprouver son courage, à user
jusqu’à la corde sa demande de guérison ? Quel que soit le sens que nous
voulons donner à notre vie, ce sens ne se suggère que subtilement dans notre
prière. Dans l’écho qu’est notre vie par rapport à la prière, des réponses
s’installent, discrètes d’abord, puis tellement incontournables et signifiantes
qu’on ne peut plus alors accueillir la vie sans y voir les traces du Christ.
La prière est une renaissance, elle permet d’endiguer les
forces positives de la vie afin de donner un sens à ses manifestations les plus
diverses.
J’ai lu dans un texte de littérature populaire l’histoire
d’un homme qui demandait à Dieu de lui accorder le pouvoir d’accomplir de
grandes choses; devenu aveugle, il fut plus efficace et plus ouvert à la vie
qu’il ne l’avait jamais été.
Boire à la coupe du Christ c’est aussi boire à la nôtre.
Voilà un trait de l’identité chrétienne dont on évacue souvent le sens; préférant se perdre dans de
continuelles demandes, le chrétien que je suis, vide une coupe déjà vide.
Que dois-je verser à cette coupe pour en goûter toute
l’ivresse propre à l’exaltation ? En faire la liste est le premier pas à
franchir puisqu’il est impératif de savoir
que le chrétien sache ce qu’il veut faire.
La prière, nous l’avons vu, est une
condition de toute la vie spirituelle. C’est par elle que l’homme se tourne
vers Dieu, sans qui il ne peut rien faire (Jn 15, 5) ; C’est par elle qu’il invoque Son aide, qu’il s’ouvre à Sa
grâce, et s’unit à Lui. La prière apparaît comme la condition nécessaire de la
pratique des commandements, de l’élimination des passions, et de la pratique de
toute vertu que suppose cette union, et en premier lieu la charité.[2]
3.
Je vous donnerai ma prière et les blessures de ma vie : mon dialogue
avec Dieu est mon étal, voyez-y ma présence au monde.
Si
tu as peur du noir et que tu penses à demain Si
l’homme te pèse et puis te perd Si
la route te semble obscure et la montagne haute Marche
vers l’autre coté du chemin. L’œil
ouvert, tu verras loin Tu
verras que c’est aujourd’hui demain Tu
verras que tu es l’Homme Tu
verras s’épanouir en toi la montagne Et
s’éclairer la route de ton cœur. |
D.
(…)
l’œil était dans la tombe et regardait Caïn.
Victor Hugo. La légende des siècles ,
extrait du poème intitulé :
« La conscience ».
La lucidité n’est
pas une chose simple. La liberté dont l’homme a besoin pour obéir se confond
raisonnablement avec le discernement dont il doit faire usage pour faire face à
sa propre conscience. Thomas d’Aquin a passé une grande partie de sa vie à
préciser ce qu’était la conscience morale comme acte. Il a précisé en prenant à
témoin le décalogue que l’acte dictée par la conscience peut être contraire à
ce qui est recommandé par la loi. En fait, pour faire court, ce qui n’est pas
simple avec d’Aquin, il m’apparaît que suivre ou non Moïse sur la route de la
liberté, est une décision circonstancielle qui n’appartient qu’à l’homme, et
cela sans égard au désir de Dieu.
Car annoncer l’Évangile n’est pas un
motif d’orgueil pour moi, c’est une nécessité qui s’impose à moi; malheur à moi
si je n’annonce pas l’Évangile ! (…)
Oui, libre à l’égard de tous, je me
suis fait l’esclave de tous, pour en gagner le plus grand nombre. 1 Corinthiens,9 v. 16 et 19.
Traverser le chemin est un acte de conscience, c’est être
fidèle à son bonheur. À ce qui vient du cœur et qui l’anime. Moïse aurait-il
été heureux s’il n’avait pas choisi de quitter le palais ?
4.
Je vous révélerai le Moïse qui m’habite et la peur qui m’assaille :
chaque pas sur le chemin que je choisis librement fait reculer la peur et
inversement avancer ma conscience. |
E.
On ne peut pas entrer deux
fois dans le même fleuve.
Héraclite 540 –480 Av. J.-C.
J’ai entendu parler du Dieu de Noé, de celui de
Moïse, du Dieu d’Abraham, du Dieu vengeur et du Dieu sauveur… Des mouvances
certes, mais dans un certain esprit de continuité. Héraclite aurait parlé de
l’indissociabilité des contraires : isoler le bonheur équivaut à faire
disparaître le malheur, ces termes, dans une vision philosophique de la
réalité, s’opposant et s’unissant.
N’y a t-il pas là, pour parler plus simplement et
plus inclusivement, la prise en compte par l’homme de la condition humaine?
Dieu dans cette optique, se subordonne au
questionnement de l’homme, cette recherche devient alors un leitmotiv puissant
qui lui répond, le trouve et le mesure.
C’est
pourquoi je fléchis les genoux devant le père, de qui toute famille tient son
nom, au ciel et sur la terre; qu’il daigne, selon la richesse de sa gloire,
vous armer de puissance, par son Esprit, pour que se fortifie en vous l’homme
intérieur, qu’il fasse habiter le Christ en vos cœurs par la foi; enracinés et
fondées dans l’amour, vous aurez ainsi la force de comprendre avec tous les
saints, ce qu’est la largeur, la longueur, la hauteur, la profondeur…
Éphésien 3 v. 14-18
Des perspectives infinies sont offertes à l’homme,
Jésus en invitant l’homme à participer au mystère pascal, l’invite aussi à
quitter une terre ancienne (la loi) pour poursuivre l’aventure.
5.Je vous ferai voir le pays que je quitte et celui qui
m’appelle : mes racines sont en aval et je fleuris en amont, je quitte
un sentier trop fréquenté pour ailleurs faire de l’humain ma seule
route. |
F.
Il n’a jamais été dit que la
seule manière qu’avait l’Église d’accueillir les hommes soit de leur donner un
sacrement.
Henri Denis , Des sacrements et des hommes, Chalet, 1975, p.75, cité dans Croire, Rey-Mermet,Droguet
et Ardant, 1977, page :53.
Les rationalistes pour qui toute connaissance vient
de la raison et non des sens, le savent plus que tout autre : voir n’est
pas comprendre. Galilée qui tentait d’expliquer une réalité contraire à ce que
les gens voyaient dut se résoudre à se rétracter, sa vie étant en danger s’il
refusait d’abdiquer devant la toute puissante Église.
Si voir n’est pas comprendre pour les rationalistes,
ne pas voir est comprendre pour les Chrétiens ! Relisez Saint-Paul :
Mais,
comme il est écrit, c’est ce que l’œil n’a pas vu, ce que l’oreille n’a pas
entendu, et ce qui n’est pas monté au cœur de l’homme, tout ce que Dieu a
préparé pour ceux qui l’aiment. 1,Corinthiens, 3 et
4.
Comprendre s’entend ici au sens d’incorporer
puisqu’en tant que chrétien, j’ai intégré des expériences de vie qui dépassent
l’entendement. La maladie par exemple, est pour moi un espace de paix, mais,
elle fut d’abord une révolte terrible qui dura six ans. Je suis passé d’une
réalité à une autre parce que j’ai intégré une vision qui m’était étrangère.
J’ai vécu une réelle initiation à une réalité nouvelle. C’est par analogie un
sacrement puisque dans ce moment de vie, Dieu révèle un peu de sa présence :
il est alors réconfort, compréhension, partage… Ce lien qui se tisse entre moi
et Dieu, m’a ramené à moi-même et du même coup m’a redonné une véritable vision
de ma vie. La montagne que représentait ma maladie m’est devenue un signe , un
arrêt pour discerner ce que je voulais faire de ma vie. Un appel vers
l’essentiel. Comme ce fut le cas lors de la mort de mon père, j’ai pris alors
conscience de ma communauté avec Dieu.
Le modèle initiatique de l’Église qui compte sept
sacrements, lesquels sont présentés comme autant d’étapes dans la vie de
l’homme, sont avec la prière ce qui rend l’homme capable du parcours de la
sanctification. Les hommes sont en ce sens, invités à vivre en parfaite
communion avec Dieu et à entreprendre une opération qui redonne au mot
sacrement son sens premier : « Mystère (du mot grec mustérion
qui veut dire secret). Quand je prie et
que j’inclus mon père de la terre dans ma prière, je
fais œuvre de communion et je participe du mystère. C’est au plan de la
sanctification un acte majeur par ce qu’il souligne (la communion) et de par ce
qu’il célèbre ( la vie nouvelle).
6.Je vous raconterai la mort
de mon père et le pourquoi de sa présence au cœur de ma communion avec
Dieu : les mêmes épreuves qui m’éparpillent, quand je laisse à Dieu
l’initiative, sont pour moi sources de sens.
|
[1] Ébacher, Roger,La vie au
fil des jours, Montréal, Fides, 1981, page : 50.
[2] Larchet,Jean-Claude,
Thérapeutique des maladies spirituelles, Cerf,2000,page :800.
« DIEU
VOUS AIME » |
C’était écrit sur une carte toute jaunie
affichée au mur de la cuisine.
Notre mère l’avait accrochée là, où nous ne
pouvions que la voir. Ce texte flottait dans la bonne odeur du pain et assistait, impassible, à nos repas.
Je me souviens que jeune encore, je n’y
comprenais rien. Il m’était difficile d’imaginer que Dieu, un être qui ne
venait jamais nous rendre visite à la maison, puisse nous aimer…
J’ai grandi depuis et je n’ai toujours pas
entendu de voix divines, je n’ai pas croisé Dieu à quelques endroits que ce
soit, je n’ai pas encore compris la Bible, je suis loin d’être un dévot… Mais
je sais, malgré cette superbe ignorance qui aujourd’hui m’honore parce qu’elle
m’a laissé libre, que Dieu m’aime.
Le
Dieu de ma mère était un Dieu de liberté. Cette carte jaunie affichée au mur de
la cuisine, c’était déjà la liberté.
Bibliographie
Blais, Martin, L’autre Thomas d’Aquin,
Montréal, Boréal,1993.
Camus, Albert, L’homme révolté,
Paris, Gallimard, 1951.
Corneau, Guy, La guérison du cœur,
Éditions de l’Homme,2000.
Dumont, Fernand, Une foi partagée,
Bellarmin,1996
Ébacher,Roger, La vie au fil des jours, Montréal,
Fides,1981.
Guillemin,Henri, Malheureuse Église, Paris, Seuil, 1992
Jean-Paul II, Lettre aux familles,
Montréal, Paulines, 1994.
Larchet, Jean-Claude, Thérapeutique des
maladies spirituelles, Paris, Cerf, 2000.
Magee, Bryan, Histoire illustrée de la
philosophie, Paris, France-Loisirs,2002.
Malherbe, Jean-François, Souffrir Dieu,
Paris,Cerf,1992.
Mélançon, Marcel, Albert Camus, analyse
de sa pensée, La société des Belles-Lettres,1978.
Mesters, Carlos, La mission du peule qui
souffre, Paris, Cerf, 1984.
Molière, L’amour médecin, œuvres
complètes, tome 2, Hachette,1999
Monbourquette, Jean, Apprivoiser son
ombre, Novalis/Bayard, 2001.
Ouellet,André, L’évaluation créative,
P.U.Q.,1983
Patin, Alain, Dieu, personne ne l’a
jamais vu, Paris, Novalis,1985.
Rey-Mermet, Croire, Paris, Droguet
et Ardant,1977.
Souzenelle (de) Annick, Job sur le
chemin de la lumière, Paris, Albin Michel, 1999.
Site
internet
Taizé (de) Frère Roger, Atelier et Presse
de Taizé,Site internet : WWW.Taize.fr
Périodique
Conche,Marcel, Héraclite avec et contre
Boudha, in Le nouvel observateur, avril 2003.
Ouvrages
de références
La Bible, Traduction œcuménique de la
Bible, Paris,Cerf, 1975
Les Évangiles, Traduction et commentaires,
Montréal, Bellarmin,1983.
Catéchisme de l’Église Catholique,
Montréal, CECC,1992.
Biblica, questions actuelles, paroles
éternelles, Paris, Édition Fleurus,1996.
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