Voilà une question philosophique J'aurai une réponse . Mais encore vous faut-il lire le texte pour en saisir la teneur . Voire y déceler ce village dont le mouvement à travers les siècles peut très certainement se confondre au sort du héros absurde que revisite ici Albert Camus .
VIVRE PAR DELÀ L'ANGOISSE AVEC ALBERT CAMUS
Auteur: Jérémie
L’auteur est étudiant en droit, ainsi qu’en affaires publiques et relations internationales, à l’Université Laval.
Comment faire face à l’angoisse de la vie ? C’est la question que lance l’essai Le mythe de Sisyphe, grand classique du philosophe français Albert Camus. L’ouvrage de ce Nobel de littérature est une brillante réflexion sur la condition humaine, et les réponses qu’il esquisse sont, 80 ans après sa publication, toujours des plus actuelles.
Tuberculeux dès sa jeunesse et
orphelin de père, Albert Camus s’y connaît en souffrances. Il est élevé dans la
pauvreté par sa mère quasi muette et une grand-mère autoritaire et violente. Le
début des années 1940 expose aussi le jeune homme aux horreurs de la
guerre : il passera quelques années dans la Résistance pendant que Sartre
glose dans les cafés du boulevard Saint-Germain.
Au fond, à 27 ans, Camus
sait de quoi il parle en amorçant son essai sur la phrase suivante :
« Il n’y a qu’un problème philosophique vraiment sérieux : c’est le
suicide. » Toute sa philosophie répond à ce besoin, ce besoin de vivre en
souffrant, mais de vivre tout de même.
Dans notre monde contemporain,
c’est ce même besoin qui est exprimé par les files d’attente chez les
psychologues et par les prescriptions d’antidépresseurs en explosion. Sans
vouloir dénigrer les bienfaits de la psychologie moderne, disons qu’un retour au
penseur français apporte une bouffée d’air frais. Une réflexion sur son œuvre
offre une solution philosophique à l’angoisse qui comprime l’estomac et assèche
les cœurs.
Absurdité
Pour Albert Camus, il y a un
paradoxe au cœur de l’expérience humaine : l’humain cherche un sens, une
raison d’être, et le monde ne lui en donne pas. Camus est athée, il ne croit ni
en Dieu ni à l’existence d’un sens justifiant la vie. Plus que cela, il affirme
que les humains sont, en général, sujets à éprouver ce vide de sens. Certains
sont heureux pauvres ; d’autres sont malheureux riches. Dieu,
soi-disant tout-puissant, autorise le mal. Les familles se déchirent, l’amour
flétrit.
L’interaction entre l’appel et
le silence, le sentiment que ça ne sert à rien, le sentiment que tout est
toujours à recommencer, le sentiment que la malchance s’acharne, Camus
l’appelle l’absurde.
L’absurde, c’est le sentiment
qui émerge lorsque l’on constate qu’il n’y a pas de réponse au grand
« pourquoi » de la vie. Autrement dit, l’appel de l’homme, c’est
l’espoir, et l’absurde apparaît lorsque l’espoir s’effondre sur le réel.
Dans la vie de tous les jours,
le sentiment d’aller à l’école pour rien, dans un programme qui ne veut rien
dire, ou encore le sentiment de se coucher pour simplement retourner travailler
le lendemain sont des manifestations de l’absurde. L’espoir et le silence du
monde ; entre les deux, l’absurde. Voilà l’essentiel de la
métaphysique camusienne.
Angoisse
Et l’angoisse, dans tout
cela ? L’angoisse est une peur de l’échec. Que ce soit à un examen, dans
une relation ou par rapport à sa santé, c’est la crainte d’un résultat que l’on
ne souhaite pas. En termes camusiens, l’angoisse est la crainte d’échouer dans
l’atteinte d’un objectif auquel on accorde du sens. L’angoisse accompagne donc
l’espoir. Car l’espoir nous fait croire en une démarche, en un objectif, et
l’angoisse est la crainte de voir cet objectif s’effondrer. L’espoir produit
une illusion de sens ; l’angoisse est la crainte de ne pas atteindre
les exigences de cette illusion.
Tu as étudié, tu travailles
fort, tu finis avec une note de 40 %. Tu as mis de l’énergie dans cet
examen, tu l’as pris au sérieux. L’école, c’est important pour toi, c’est
porteur de sens. Et puis tu échoues. Ou, pire, tu réussis, mais tu te rends compte
que tu as perdu beaucoup de temps pour réussir, finalement, et tu te demandes
si ça en valait la peine. Le « pourquoi » apparaît. Silence du monde.
La peur s’installe. Et si la déception venait à la fin de chaque examen ?
Et si je n’aimais plus l’école ? Est-ce que je suis en train de perdre ma
vie ? L’angoisse existentielle est illustrée.
Vous l’aurez compris, l’angoisse
accompagne l’illusion qu’il y a un sens à cette vie terrestre. À cette
souffrance, la solution naturelle de l’homme est de renforcer l’illusion. La
routine et le sentiment d’efficacité sont le mortier de la nouvelle forteresse
de l’espoir : boulot-dodo-boulot-dodo, pour la famille, pour être le
premier, pour partir une semaine dans le Sud…
Nous avons même un mot à la mode
pour décrire le fait de construire une forteresse illusoire :
l’efficacité. Toutes ces vidéos de développement personnel n’ont que ce mot à
la bouche. Allez, il faut en mettre plus : plus d’efforts, plus de sacrifices.
Pour une plus grosse maison, un plus gros salaire. Toujours, on met plus
d’efforts dans ces illusions, dans notre emploi, dans notre famille, dans notre
sport. Mais, toujours, l’absurde survient.
L’illusion est toujours
temporaire, car la question finit toujours par ressurgir. Lorsque l’échec
apparaît, l’angoisse assaille alors les murs, contourne les contreforts,
déborde des tours. Isolé dans le donjon, l’espoir se meurt, la forteresse
s’écroule, l’absurde a vaincu. L’homme sonne la retraite, entre en mélancolie.
L’homme absurde
Quelle est donc la solution
camusienne à l’angoisse ? Comment se sortir du paradoxe de l’illusion
menant à l’absurdité si ce n’est en renforçant les illusions ?
Car Le mythe de
Sisyphe n’est pas un livre pessimiste, au contraire. Camus explore des
pistes, passant de Don Juan aux Frères Karamazov. Il cherche ce
qui peut bien nous sortir du piège de l’absurde.
Dans le dernier chapitre
du Mythe de Sisyphe, Camus propose ce qui suit : Sisyphe est un roi
des mortels. Intelligent et ambitieux, il se moque des dieux et déjoue la mort
à deux reprises. Zeus, en furie, le condamne à ce qu’il croit être le pire des
châtiments : Sisyphe doit faire rouler jusqu’en haut d’une montagne un
rocher qui en redescend chaque fois avant de parvenir au sommet. Il doit alors
le remonter encore, et encore, et encore… pour l’éternité.
Camus se demande : est-ce
vraiment le pire des châtiments ? Faire une tâche inutile sans aucun
espoir d’y échapper pour l’éternité ? Il donne sa réponse : non,
c’est précisément la meilleure des vies. Libéré de l’espoir, Sisyphe monte et
descend la montagne, amusé des chemins que prend la pierre, fasciné par les
éclats de roche. Explorant son monde sans imaginer pouvoir en sortir. L’auteur
conclut : « Il faut imaginer Sisyphe heureux. »
Le mythe grec illustre pour
Camus la vie de l’homme absurde, c’est-à-dire la vie de celui qui assume
l’absurdité du monde. Sisyphe, c’est l’homme qui se moque de la mort, qui se
moque des dieux, c’est l’homme qui vit sans illusions, simplement par nécessité
de vivre.
Pour cet homme, il n’existe
qu’une réalité : l’expérience de la vie mortelle. Le seul sens à la vie,
c’est de l’épuiser. Il ne faut pas fuir l’absurde : il faut vivre les deux
pieds dedans, nous dit le penseur. Pour échapper à l’angoisse, il faut habiter
le non-sens et refuser d’imaginer qu’une bonne vie dépendrait de quoi que ce
soit. Vivre en Sisyphe, c’est se jouer des malheurs d’une vie humaine, trop
humaine.
Bon, on peut douter : en
quoi pousser un rocher pour l’éternité rendrait-il heureux ? Pousser un
rocher une fois, d’accord, deux fois, limite, vingt fois ? Ce n’est pas
une vie.
Allégorie
Tout cela, n’est-ce pas quelque
peu… allégorique ? Oui, mais cette allégorie appelle à des attitudes qui
sont, elles, bien concrètes. Assumer l’absurde, cela veut dire voir la vie non
pas comme une compétition, mais comme une aventure. C’est refuser de craindre
pour quoi que ce soit, parce que la seule chose qui compte, c’est de vivre
l’expérience qu’est la vie. C’est voir l’échec non pas comme une défaite, mais
comme une étape essentielle à franchir.
L’homme absurde dit oui à la
vie. Il s’émerveille devant les découvertes, profite du soleil et des jolis
visages. Il poursuit ses rêves sans crainte, il suit ses principes sans
angoisse. N’imaginez pas que c’est une invitation au je-m’en-foutisme : au
contraire, c’est une invitation à l’engagement de tout son être dans le monde
qui se joue de nous.
C’est un appel à refuser la mort
inutile, qu’elle soit une mort réelle ou une mort de l’âme. C’est un appel à
vivre la liberté, à dénoncer ceux qui assassinent, à se révolter contre ceux
qui, au nom d’un sens soi-disant supérieur, tuent, détruisent, abîment la vie
humaine. Ne rien craindre, c’est pouvoir mordre dans la vie à pleines dents,
libéré des peurs qui retiennent.
L’angoisse — l’anxiété — est un
sentiment éminemment mortifère. C’est la vie qui craint au lieu de vivre. C’est
la peur d’avoir peur. Nous vivons dans une civilisation où des jeunes ne se
rendent pas à leurs examens par peur de les échouer, où des parents installent
des localisateurs sur le téléphone de leurs enfants pour s’assurer qu’ils ne
soient pas en danger, où les burn-out s’additionnent.
Une crainte violente et
omniprésente de perdre sa vie, d’échouer est en suspension sur notre monde. En
réponse à cela, on parle de gestion de ses émotions, d’optimisation de son
horaire, de stratégie sociale. Les nouveaux curés de TikTok veulent harnacher
la vie à la roue du management. Ces prêtres à la petite semaine vendent de
nouvelles forteresses, toutes plus attirantes les unes que les autres. Dans
l’ombre, l’absurde ricane, l’angoisse se prépare à l’assaut.
Camus rejette l’efficacité, il
rejette l’illusion, il rejette Dieu. Il accepte l’existence. Que l’on craigne
de perdre la face ou de perdre ce à quoi on accorde de la valeur, il faut se
souvenir que ce sont précisément ces dangers qui constituent l’aventure de la
vie.
Les vivre, les subir, c’est la
seule chose que nous ayons. Un rêve est un projet, y mettre toute son énergie,
c’est la seule chose que nous ayons à faire. Le temps file, toujours.
Dans Le mythe de Sisyphe,
Albert Camus nous invite à vivre intensément, sans craindre de perdre.
Lorsqu’on part à l’aventure, on ne sait pas exactement pourquoi on part ni où
cela nous mènera. On expérimente la vie le cœur lourd, faisant face à l’inévitable
souffrance. On épuise tranquillement les obstacles sur notre chemin sans même
imaginer que l’on en arrivera au bout.
La parole algérienne de Camus
réchauffe l’âme et soulage les cœurs. Les deux pieds bien plantés dans le
sable, on distingue la silhouette de celui qui, sans broncher, fait face aux
vagues. On a envie de dire : peut-être est-il heureux.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire